18/04/2010

Un écrivain liégeois : Patrick LEDENT

Péniche à Liège de nuit

                 

Un écrivain liégeois :  Patrick LEDENT
                               et son tout premier Joli coup



Nous allons bien finir par nous entretenir de littérature, sur ce blog !


Patrick 1.JPGUn hold-up qui commence mal, un rêve de retraite dans le Sud, un souvenir de tripotées, une file de caddies qui n'avance pas, un cadavre interchangeable, des larmes intarissables, une amnésie inopportune, une délocalisation en Roumanie, une belle femme trop gentille, un meurtre bien propret devant la télé, une dernière cigarette, un soldat saponiphile, une villa côtière transformée en hôtel de luxe, une passion trouble pour la boucherie, et pour finir... un joli coup.

Dix-sept nouvelles pour le premier recueil du premier auteur que nous embarquons en tant que tel.

D'une admiratrice qui est également une consoeur :

« Sous la légèreté et la quotidienneté, c'est d'une plume mordante que Joli coup s'attaque à quelques petites angoisses comme le cancer, le chômage, la guerre, l'argent ou son absence, l'économie, l'éducation, la violence ou la difficulté des relations humaines. Dans l'invective ou la jubilation verbale, l'auteur s'inscrit à la suite des humoristes qui, depuis Swift, dénoncent les plaies du monde moderne avec savoir-dire et élégance :

« Pour autant, je n'en voulais à personne. J'avais si bien essoré le temps, si bien égoutté chaque seconde que je savais mieux que quiconque combien la vie est riche, imprévisible et fantasque. Émancipée et victorieuse. Combien elle se moque des révolutions solaires et lunaires. De toutes ces planètes qui tournicotent autour du soleil et sur elles-mêmes, cherchant un mouvement qui les rassure, une équation qui les apaise ou une réponse à leur errance stérile. Combien les hommes se trompent en levant les yeux au ciel, quand ils devraient les baisser ; combien ils se fourvoient en s'émerveillant de la trajectoire des astres, quand la leur est tellement plus libre, plus folle et poétique. »

 

 

Mais commençons par les commencements biographiques :



Pat-1[1] 

Littérairement parlant, les choses ont commencé, pour Patrick Ledent, comme souvent dans les provinces, par quelques gamins en fin d'études secondaires, qui se réunissaient le soir pour vider des pots autour d'une personnalité locale connue jusqu'à l'extérieur - même du pays -, ce qui, dans la morne mesquinerie ambiante, leur permettait de ne pas se laisser totalement anesthésier. La personnalité était André Blavier, bibliothécaire communal  en chef, pataphysicien, traducteur d'Ubu en wallon, queneaulâtre, grand collectionneur de fous littéraires et animateur d'une revue où les temps étaient mêlés. L'endroit  était le café des Brasseurs, haut-lieu, depuis les temps immémoriaux où il s'appelait la Brassinne, de la consommation de liquides fermentés voire distillés, aujourd'hui devenu MacDo, comme tout ce qu'il y avait de beau à saloper.

Pratiquement parlant, elles ont commencé par la création, avec et autour du maître, d'une petite revue bricolée, presque de potaches, autodérisivement nommée L'Alphablet, qui a bien paru dix fois entre 1985 et 1991. Les six ou sept (huit ?) membres co-fondateurs s'y essayaient aux formes et aux sujets qui leur chantaient, y affrontaient quelques contraintes oulipiennes et s'y délassaient en bouts rimés. C'était tapé à la machine même pas électrique, photocopié, agrafé, et illustré à la plume par Madame (Odette), artiste ès collages et docte traductrice du Münchhausen d'Immermann, une fois le ménage fini. Certains y firent même quelques prometteuses étincelles, sous l'oeil mi-clos du « chef » tétant sa pipe, écoutant sans broncher une assez grande quantité d'insanités et vidant force Rodenbach pour faire passer.

Car tout ce petit monde pintait en refaisant la Genèse et la littérature. Déjà vu ? Oh oui. Souvent. Comme souvent aussi, presque tous ces jeunes gens ont fini par mettre de l'eau dans leur vin ou de la grenadine dans leur Leffe et par élever des enfants. Patrick Ledent n'a pas échappé à la règle, mais, lui, sans jamais cesser d'écrire ni d'ailleurs d'éveiller chez ses commensaux, la même relative amicale indifférence. Il en aurait fallu davantage pour le dissuader.

On sait qu'il est de bon ton, quand on entre en littérature, de se réclamer d'un illustre aîné, de s'inventer à posteriori quelque parraînage flatteur. Le bon ton n'y étant pour rien, Ledent a eu la chance d'avoir, en Blavier, un lecteur d'abord, de tout ce qu'il a écrit, un mentor ensuite, d'une bonne volonté inaltérable, toujours prêt à répondre patiemment aux multiples questions que se pose un écrivain débutant autodidacte : les expressions toutes faites à éviter, les belgicismes qu'on peut se permettre et ceux qu'on ne peut pas, le mot précis préférable à tout, la traîtresse concordance des temps et j'en passe. C'est lui aussi qui a critiqué sans complaisance les premières productions sérieuses (deux romans), et encouragé plutôt le choix des nouvelles, enfin conseillé la participation à l'un ou l'autre concours, histoire d'y pêcher quelque assurance. Transmission de savoir si réussie que - chose rare - l'élève n'imite en rien le maître. L'univers de Patrick Ledent est le sien et l'usage qu'il fait de la langue lui est propre. Si on y retrouve un peu de la goguenarde misogynie de Frédéric Dard, ce n'est pas par hasard, la sortie régulière du « dernier San-A » ayant rythmé les années de formation de ces jeunes gens, mais aussi parce que Patrick Ledent est visiblement persuadé (à tort) qu'On est toujours trop bon avec les femmes. Si on rencontre, ça et là, dans sa galerie de personnages, un petit cousin de Monsieur Ripois, ce n'est pas non plus par coïncidence : affinités électives. Une critique récente parle du plaisir qu'à l'évidence Patrick Ledent prend à écrire. On peut même dire jubilation. Contagieuse.

Je lui trouve, pour ma part, une autre particularité que je suis peut-être la seule voir.

Comme Simenon disait « je suis liégeois » et non pas « je suis belge », ce qui ne devait avoir de sens précis que pour lui et très peu d'autres, Ledent est un écrivain liégeois. Parce qu'il est né à Liège ? Même pas. Il est né à Juslenville, village dont l'existence resterait obscure, si on n'y avait découvert un autel de Mithra. D'ailleurs, des écrivains « nés à Liège », il y en a des flopées.

Qu'est-ce donc alors qu'un écrivain liégeois ?

Une expression du terroir dit d'une femme de moeurs décomplexées : « Il n'y a que le tram qui n'est pas passé dessus ». Eh bien, la principauté épiscopale de Liège, même le tram est passé dessus. Pendant pas loin de mille ans. République, mais théocratique. Neutre, mais labourée et fourragée par toutes les armées du monde, sauf peut-être les africaines et les chinoises qui n'ont pas dit leur dernier mot. Théâtre de la révolution populaire la plus radicale (et la seule victorieuse) du début du XIVe siècle, comme d'une deuxième révolution non moins radicale juste avant et pendant la Révolution Française, et avec tout cela, génocidée par le Téméraire si complètement au XVe s., qu'il n'y est pas resté alors six douzaines d'humains debout. Une des caractéristiques les plus étranges de ce pays oublié des dieux et snobé des hommes est que ceux qui l'ont repeuplé après la mère de toutes les Naqbas se sentent - et ont fini par être - les héritiers et les continuateurs de ceux qui, pourtant, sont morts sans descendance. « Nos ancêtres les Éburons », etc. C'est cette histoire-là peut-être, qui fait porter par certains de ses artistes, sur les choses et sur les gens, un regard particulier, irrémédiablement dénué d'illusions, mais non pas de bienveillance. C'était le regard de Simenon. C'est le regard de Ledent, quelle que soit leur importance respective dans la République des Lettres. C'était celui aussi de Blavier, assorti, là, d'une pointe de léger sardonisme à la Voltaire (étant entendu que Voltaire et la bienveillance n'ont jamais gardé les cochons ensemble). Je le répète, le talent n'a rien à y voir. C'est juste une façon de considérer les choses. Entre ceux qui ont ce regard-là et les autres, il y a la même différence qu'entre Giovanni Agostino della Torre et son fils Nicolo, dans le portrait qu'a fait d'eux Lorenzo Lotto.

Or, voici qu'à l'heure où des sangsues à la Berlusconi-Seillières, sous prétexte que le fruit de leurs rapines leur a permis de s'emparer du moyen de faire des livres, pratiquent dans la vie intellectuelle une censure qui n'a rien à envier à feue l'Inquisition espagnole et enfoncent de concert un pieu bien affûté dans le cercueil de Gutenberg, Patrick Ledent s'est trouvé une éditrice. On ne peut que leur souhaiter à tous deux beaucoup de courage, car faire des livres et réussir à les diffuser n'est pas tout à fait la même chose, et cette chasse-là, justement, est bien gardée par les sangsues.

Quoi qu'il en soit, l'auteur débutant a tout livré, en vrac, à l'éditrice débutante - une moisson de nouvelles écrites sur une vintaine d'années - et l'éditrice a fait son choix. Le résultat est ce premier recueil intitulé Joli coup, qui doit être bientôt suivi d'un autre. Le train est sur les rails.

Ah, les trains...

« Il écrit comme un train de marchandises » a décrété Dantzig, peu enthousiaste de Simenon. Patrick Ledent aussi, en quelque sorte, écrit comme un train de marchandises. La jouissance d'en écrire encore et encore une autre, vous savez... Et alors ? Ce qu'on ignore, dans le VIIe chic, c'est qu'un train de marchandises peut prendre, aux yeux de certains, selon les cas, les temps et les lieux, des allures d'archange Gabriel, voire de déesse Cornucopie.

 

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  La métaphore des chemins de fer s'applique d'autant plus heureusement à notre auteur qu'il y travaille. Non seulement il y travaille, mais le regretté quoique toujours vif Claude Villers mis à part, je ne connais personne d'aussi passionné par tout ce qui se déplace sur rails. On admettra que se passionner pour un gagne-pain non choisi est d'une originalité certaine de nos jours. Et peu lui importe que sa gare nourricière, par la grâce de l'architecte Santiago Calatrava Valls et de l'administration liégeoise soit devenue un morceau de Brazilia au coeur de l'Europe, une pharaonnerie futuriste au milieu d'un quartier pourri, et que son bureau personnel  soit passé de 75 m2 à 8 ! Il en faudrait bien davantage pour dégoûter Patrick Ledent des chemins de fer. Tout au plus M. Calatrava Valls risque-t-il de se retrouver, dans un prochain recueil de nouvelles, victime d'un meurtre ingénieux dont l'auteur ne sera jamais pris.

 

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   Car qu'il vente ou qu'il pleuve des petits chiens, Patrick Ledent ne peut pas s'empêcher d'écrire des nouvelles.

En voici une, inédite, que nous avons l'honneur et l'avantage de vous offrir sur ce blog, avec la gracieuse permission des éditions Calliopées. Oublions pour un instant les gares. Là, on est dans une grande surface.


*



À VOS CADDIES !

                                 
   

     Alors, on fait ses petites courses ? T'as de la chance de pouvoir, moi je m'arrête avant de glisser un jeton ou une pièce dans le cadenas du caddie. Je ne supporte pas qu'on ne me fasse pas confiance. Ce n'est pas parce qu'une douzaine de caddies disparaissent chaque semaine qu'il faut obliger dix mille honnêtes clients à prendre ceux qui restent pour des machines à sous. S'ils veulent  les garder, leurs chariots, ils n'ont qu'à les surveiller.
     Avant, t'avais deux ou trois types qui faisaient ça. Ils ramenaient l'engin de ta voiture au magasin. Gratos. Pour te remercier d'avoir claqué ton fric dans les rayons de chez Trucmuche. Mais aujourd'hui, tu penses, l'heure n'est plus aux égards. Depuis qu'on a compris que tu étais disposé à servir de larbin tout en vidant les rayons, on a viré la valetaille. Toujours ça de gagné.
     Mais vas-y, entre ! Que ça ne t'empêche pas de consommer ! Non ! Tu te sers de ça, toi ? Tudieu ce naturel, cette assurance un peu empressée que tu as eue en te dirigeant vers le présentoir pour saisir l'engin ! Je n'en reviens pas, une fille comme toi, si jolie, qui a l'air si gentille ! Ça te bouchbée, cette innocence presque amusée avec laquelle tu t'apprêtais à commettre une telle insanité. Faut-il que l'on t'ait battue, torturée - pardon de le dire, je ne veux pas être méchant, mais décérébrée, oui, désolé, décérébrée - pour te conduire à self-scanner ! Pourtant t'as l'air humaine, alors qu'est-ce qui se passe ?  Qu'est-ce qu'elles t'ont fait les caissières ? T'es jalouse ? Tu ne revendiques quand même pas leur place, si ? Je veux bien que les temps soient durs, mais tout de même ! Ça t'ennuie tellement de leur laisser ce travail-là ? De les laisser vivoter de ça ? Tu les préfères sur le trottoir, à tendre la main ou à vendre leur corps ? Faudra bien qu'elles s'y résignent, si tu fais leur boulot pour pas un rond. As-tu seulement mesuré l'étendue du désastre ? Mesuré combien on se payait ta tête en te glissant cet engin dans les mains pour que tu t'auto-factures ?
     Je vais t'aider en te donnant une idée du chemin parcouru. Avant, c'est pas loin, moins de trente ans, une bonne génération, on s'entre-déchirait pour te livrer la marchandise à domicile. Aujourd'hui, on a réussi à te faire acheter une bagnole, à te sortir de chez toi, à te faire payer une caution pour utiliser un chariot et à te transformer en caissière. Joli travail, tu ne trouves pas ? À ce rythme, je ne leur donne pas dix ans pour te faire douiller une place de parking et le prix de revient d'un ticket de caisse. Et tu ne pourras t'en prendre qu'à toi-même. Parce que c'est déconcertant, ta docilité. Te savoir plus soumise qu'un caniche, ça donne des idées! Ce n'est plus un supermarché, c'est un chenil, cette saloperie, avec des clientes comme toi ! Tu ne te rends pas compte, mais tu recules les frontières du possible, là. Ils n'en reviennent pas de ta candeur, elle les excite. Si tu jouis quand on te bat, on te bat pour pas que t'arrêtes de jouir, c'est de l'altruisme, en quelque sorte. Continue comme ça et demain c'est toi qui dépèces le bœuf, découpes les steaks, les pèses, les mets sous cellophane, les étiquettes, les scannes et paies un supplément pour le nettoyage des installations. Ris pas ! Tu le fais déjà pour les fruits et légumes ! Et s'ils ne t'envoient pas les cueillir, c'est parce qu'ils ont peur de te donner des idées. Des fois que tu t'apercevrais que les pommes, les poires, les fraises, les prunes, les cerises, les salades - et merde, je ne vais pas tirer à la ligne - ça prospère sous nos latitudes. Dans ton jardin, si ça se trouve.
     Comme les vaches, d'ailleurs, qui paissent juste à côté de chez toi, enfin... deux rues plus loin. On ne va pas chipoter pour cinq cents mètres quand ton bœuf sous cellophane vient des États-unis, t'es bien d'accord, hein ? Au fait, que je te suggère : si t'allais le voir, le propriétaire des vaches ? On dit fermier, tu savais ? Si tu lui demandais un bon steak ? T'as pas l'impression qu'il serait meilleur ? Tu dis ? Plus cher ? T'es sûre, vraiment sûre de ça ? Pas moi. Je peux te l'affirmer : j'ai essayé.
     Allez, je te raconte, je ne peux pas résister : l'autre jour, je lui ai acheté un saucisson et deux morceaux de fromage, tellement je m'étais régalé de son steak, la semaine avant. Bon, le saucisson, une fois le boyau retiré, il se « défaisait », c'est le moins qu'on puisse dire. T'avais du mal à former une rondelle. Elle s'effritait aussitôt, faute de graisse, d'antioxydant, d'acidifiant, d'E42, 936, 354 et six-quatre-deux (je l'écris toujours en lettres, celui-là, c'est plus drôle). Qu'est-ce qu'il était bon, son saucisson, émietté sur une tartine de pain ! Et son fromage, donc! Toi, pauvre cloche, tu l'asphyxies sous une consoeur en verre, pour pas qu'il pollue ta cuisine ; lui, avisé, il le coiffe juste d'une moustiquaire, pour qu'il aère à l'abri des mouches ! Il t'en a de plusieurs sortes : des jeunes, des demi-vieux et des vieux. Ça suffit pour ton bonheur, tu peux me croire. Vas-y donc ! Tu dis que tu viens de ma part, il te fera un rabais.
     Et tant qu'à digresser, faut que je te parle de sa fille, qui revenait de la boulangerie, le jour du saucisson. C'était un dimanche matin frisquet. Bonnet de laine multicolore, jupe de serge beige, manteau marron avec des boutons en forme de bâtonnets, tu vois ? Bottes de caoutchouc et joues roses, la fille. Elle m'a souri. J'ai cru mourir. J'avais plus vu une fille aussi naturelle depuis... Je dis des conneries. J'avais jamais vu une fille aussi naturelle ! Sauf au cinéma. Mais c'était moins bien au cinéma parce que si l'herbe était verte, s'il y avait du brouillard au ras du sol, comme ce jour-là, ça ne sentait pas la prairie détrempée et l'argile. Je n'avais aucune envie de m'enterrer au cinéma, tandis que là, cette glaise, qu'est-ce qu'elle était accueillante ! Je m'y serais couché et j'y aurais creusé mon trou, la repoussant de part et d'autre, avant de la rabattre sur moi, comme un drap. Et je me serais endormi pour toujours, dedans cette terre qu'elle marquait de ses bottes, la fille du fermier. Ou de ses pieds nus, j'en étais sûr, lorsque, l'été revenu, l'odeur du foin l'emportait sur celle de l'herbe grasse.
     Une digression champêtre qui semble n'avoir pas été inutile, puisque tu le remets en place, sans que je te le demande, le self-machin. Juste pour me faire plaisir. Je t'inviterais bien à l'écrabouiller sous tes talons, mais il s'en trouverait pour te punir or je ne te veux pas de mal, tu l'as compris.
     Voilà, dans son reposoir, merci. Non ! Ne le donne pas à la gamine qui te tend la main ! Elle n'a qu'à l'arracher à son socle, zut. Faut qu'elle assume !
     Laisse ! Cherche pas à la convaincre, elle est foutue, elle, ça se voit. Elle est trop jeune, à peine sortie de l'adolescence. Chiche qu'elle trouve ça fun, vachement in, de se taper le boulot ? Elle est contente de glisser le code barre sous le laser rouge. Ça l'amuse, le petit bip qui résonne. Demain, tu vas voir, ils lui offriront un « merci », avec la voix de son acteur préféré en prime, au lieu d'un « bip ». Et on lui fera payer le service au passage ! Foutue, je te dis. Le bidule lui délivrerait un sucre par tranche de dix euros, qu'elle se foutrait sur la paille pour le happer d'un coup de gueule. Allez ! Filons, sinon je vais la gifler et on me foutra en tôle, que je pourrais même plus gueuler ou qu'il n'y aura plus personne pour m'entendre. Que d'ailleurs, si ça trouve... Ah non, merde ! Pas le moment de craquer.
     Nous, on poireautera à la caisse, drapés dans notre dignité, quand elles self-scanneront, les salopes. On fera des sourires à la caissière en attendant. On l'encouragera à supporter ce spectacle-là, tellement éprouvant, tellement désespérant. Imagine des bovins, à la queue leu leu, à l'abattoir. Eh bien pareil ! Sauf qu'elle est obligée de continuer à bosser pendant qu'on abat les siens sous ses yeux, la malheureuse. Tant de sadisme, ça défrise, non ? On ira l'embrasser pour la réconforter, soulèvera deux ou trois bouteilles pour l'aider. On tâchera de lui faire comprendre qu'on l'aime, qu'on compatit, qu'on a mal pour elle, que si on pouvait l'arracher cinq minutes à la méchanceté des autres, on le ferait. Qu'on lui cassera la gueule, au client qui ne sourit pas. Qu'on le pendra sur l'heure celui qui osera trépigner et la regarder de travers pour qu'elle se magne un peu. Que si on doit attendre trop longtemps, c'est pas à elle qu'on s'en prendra, mais aux responsables. Au gérant qu'on sortira manu militari de son bunker de miroirs sans tain et qu'on assoira de force à une caisse pour qu'il voie ce que c'est, combien c'est épuisant, tuant, de sourire à tous ces cons. Parce que c'est trop facile, ça, attendre sans regimber, sans gueuler. D'autant que c'est voulu, ton attente. Tu le sais, ça, que c'est voulu ? Calculé. Pour t'obliger à en venir, petit à petit mais néanmoins de force, avec cette lâcheté émétique qui les caractérise, au self-scanning. Créer le besoin pour imposer leur loi. C'est leur devise à ces salauds-là... Lola, justement. Chiche qu'elle s'appelle Lola, la caissière. J'aimerais bien qu'elle s'appelle Lola. C'est joli Lola. Jolilola, joli lilas. Ouf ! Ça fait du bien de souffler un peu.
     T'as remarqué, l'agencement des rayons ? Rien n'est laissé au hasard. J'ai vu un reportage là-dessus. Instructif. On place à ta droite ce dont tu n'as pas besoin, parce qu'on est sûr que tu regarderas d'abord à droite en entrant. C'est prouvé. Par contre, on placera l'essentiel à gauche, puisque tu vas de toute façon le chercher. On fait plus que se foutre de ta gueule, tu sais, on te méprise ! Le panier pour les petits achats, par exemple, il sera toujours à gauche, même si nous sommes très majoritairement droitiers. On t'obligera à te dévisser le bas du dos pour le saisir, on prendra soin de ta hernie, parce que si on te le mettait sous la main, il prendrait la place des pots de fleurs en promotion que tu achèteras peut-être, sûrement, puisque tu les auras sous les yeux. Moi, ces procédés, ça me donne envie d'entrer à reculons !
     Pareil pour les rayonnages, scientifiquement étudiés. Tu devras te baisser pour l'eau, la farine et l'huile, voire tendre la main ou te dresser sur la pointe des pieds pour atteindre le lait. Par contre, à hauteur de ceinture, tu trouveras l'inutile ou les produits de luxe. De l'huile aussi, par exemple, faut pas croire, ils ont de l'humour, mais pas de friture, celle-là : le bénéfice est trop maigre. De l'huile d'olives, labellisée, que tu paieras douze fois son prix, croyant enrichir un artisan des hauteurs du lac de Garde, quand tu n'auras engraissé que l'une de leurs succursales, en banlieue.
     Tu n'es rien ici. Qu'un produit parmi les autres. Ni plus, ni moins que ce que tu t'apprêtes à acheter. Ils savent tout de toi. Pourraient te dire ce tu gagnes, comment tu le dépenses et le moyen de t'y prendre autrement, si d'aventure ça ne faisait pas leur affaire, le comment que tu le balances, ton fric. Pourraient te dire tes petites habitudes, tes préférences, tes goûts, ton humeur et tes faiblesses. Tout, absolument tout. Avec tes cartes bancaire ou de fidélité, que tu présentes spontanément par facilité - toujours ça qu'ils te vanteront, la facilité, pour justifier leurs exactions - ils savent tout. Combien de pommes et d'oranges tu manges par semaine, ta consommation de papier-cul, de bières, de vin, de flotte, de légumes ou de viande. Pourraient te donner ton taux de cholestérol, de gamma GT, de sucre et d'insuline ; l'état de tes reins, de ton foie et de ton pancréas, exactement comme s'ils t'avaient fait une prise de sang. Ta carte de fidélité, c'est un protocole médical et ton ticket de caisse, une ordonnance. Te dresseraient un diagnostic et sa thérapeutique, s'ils ne craignaient pas que tu te calmes, que tu diminues un peu le vin, la graisse ou les féculents car, tu penses, c'est leur chiffre d'affaires qui en prendrait un coup !
     Que leur clientèle cesse de s'empiffrer et voilà qu'ils dégonflent. Ce qui te prouve qu'il y a une justice, que la solution est là, à portée de mains, facile comme une fille de joie, mais que tu ne veux pas la saisir - la solution, naturellement, pas la fille, ah ! c'est malin -- parce que tu te souviens de la guerre ou qu'on te l'a racontée, que tu as peur du manque, comme d'autres ont peur de mourir - mais c'est autrement légitime - et qu'au lieu de te rassurer en gérant tes réserves, tu les digères, tant bien que mal, quitte à vomir de temps en temps d'un trop-plein qui te gonfle, oh combien davantage que ces rayons qui le devraient, pourtant, ou que cette phrase interminable qui ne peut que, je l'admets et te le prouve : .  Tout ça pour te dire que ça les arrange, que tu joues au yo-yo avec ton tour de taille : z'ont un rayon textile au deuxième qui aurait bien besoin d'un coup de fouet ! Comme toi.
     T'es là, à balader ton sourire niais et à bénir ta liberté de consommateur, quand il y a des dizaines de caméras qui te filment et enregistrent le moindre de tes gestes. Tiens, justement, ce paquet de biscuits que tu viens de saisir dans le rayon avant de l'y remettre, ils sauront demain pourquoi tu ne l'as pas acheté. Exactement pourquoi, bien mieux que toi qui penses n'y avoir renoncé que confusément, lors que chacun de nos gestes - n'importe quel psychologue te le dira - est foncièrement déterminé.
     La conscience que tu n'as pas, ils l'ont, eux ! Tes actes manqués, ils pourraient te les détailler aussi précisément et infailliblement qu'un ordinateur afficherait ton génome, in extenso, si on lui soumettait le squame que tu viens d'abandonner négligemment sur la machine à pains. Un pain que tu as, sans même t'en rendre compte, tranché, calibré et emballé à leur place.
     Trop tard ! Ton geste arrêté et ton regard qui lit l'étiquette de la boîte de biscuits sont photographiés. Demain, tu feras l'objet d'une conférence. Un rétroprojecteur affichera ta photo sur un écran géant, avec à tes pieds une poignée d'experts la commentant devant un parterre de futurs cadres : « Alors, Messieurs, pourquoi a-t-elle renoncé à son achat, la petite dame ? Quelqu'un est-il capable de me répondre ? »
     Les jeunes loups vont rester cois parce que le merchandising - t'iras te faire voir pour la version française, pas question de traduire cette saloperie ! - ça s'apprend. Bouche bée, béats, babas, qu'ils vont rester, disais-je, jusqu'à ce qu'un éminent docteur daigne leur souffler la réponse. Le comment on décode chacun de tes gestes, les enregistre, les rassemble, les passe au mixer et les restitue en algorithme imparable qui fera que demain, infailliblement, tu achèteras cette babiole dont tu n'as pas voulu hier. Et que tu laisseras moisir dans une armoire. Avant d'enfin la jeter, cherchant la lâcheté qui t'a conduite à l'acheter. Olé !
      Pardon ? Excuse-moi, j'étais distrait. Tu disais ? Que j'exagère ? Que tu ne me crois pas ? Menteuse ! Tu as la chair de poule. Ça se voit. Je le vois. Ils le voient ! Toutes les caméras l'enregistrent à l'instant. Le service de sécurité est déjà au courant. Ils t'ont à l'œil. Se méprennent sur ton émoi. Pensent que tu as ou vas voler quelque chose. J'en connais qui doivent saliver derrière leurs écrans : « On va se farcir la bourgeoise, allée 12, rayon 32, elle n'est pas nette. » Tu vas les décevoir parce que tu ne voleras rien. Les vexer de s'être trompés sur ton compte. Mauvais ça, la provocation. Qui sait ? Ils pourraient très bien, en représailles, juste pour mesurer leur pouvoir, te conduire à voler vraiment. Avec un bon pourcentage de réussite, même avec toi qui es d'une honnêteté d'un autre temps. Alors, s'il te plaît, arrête de paniquer et surtout cesse de chercher partout ces caméras dont je te parle. Elles sont susceptibles : aiment à voir, pas à être vues. Si tu insistes, tu vas aggraver ton cas. On te trouvera plus que jamais louche, avec ta chair de poule et tes yeux en l'air. Ils n'auront de cesse de te confondre, si tu les tentes !
     Qu'as-tu ? Voilà que tu es nerveuse à présent. Calme-toi donc ! Je ne voulais pas t'effrayer. T'as envie de sortir, c'est ça ? Tout t'écoeure brusquement, je comprends. C'est insupportable, hein ? Faudra bien que tu restes, pourtant, car on n'a pas fini notre petite visite. Allez ! Encore une couche pour te dégoûter définitivement. C'est nécessaire. Tu n'imagines pas comme nos réflexes ont la peau dure. Ce qu'un texte est éphémère ! Suffit pas que tu me donnes raison le temps de me lire, faut encore que je sois dans ton caddie, à l'heure de la rechute.
     Ne proteste pas ! Tu reviendras, c'est certain.  C'est que je ne peux rien contre toutes leurs lumières, moi, avec mes mots. Dis ! T'as vu cette débauche ? Aveuglant par là, tamisé ailleurs. Ces couleurs criardes ici, pastel à côté. Tout ça aussi, c'est du boulot. Il n'y a pas un photon qui ne soit canalisé, dompté, posé. Ça te change du soleil, hein ?
     Justement, le soleil ! T'as remarqué comme ils l'éludent, dans leur usine à néons? Ça aussi, c'est voulu : ils n'ont pas envie de te refiler des idées buissonnières, que tu les plaques ici avec ton chariot en rade pour courir vers la lumière. La vraie, celle du dehors, celle qui chauffe. Qui t'a doré les joues, si peu maquillées, c'est bien, tu n'as pas touché aux cosmétiques. Je sais pourquoi je t'ai choisie, maintenant, toi parmi toutes les autres. Si tu n'es pas encore ma fermière, tu es belle quand même, et plus à ma portée. On se tient les coudes, hein ? On finit, courageusement nos emplettes. En héros ! Plus tard, on ira rire au rayon vacances. Là où ils sont si maladroits, tellement lamentables, tellement eux-mêmes ! Parce qu'ils ne peuvent pas, quoi qu'ils fassent, malgré toutes leurs études, l'assujettir, le mahomet ! Ils le dessinent, le caricaturent, mais se gardent bien de lui abandonner ne serait-ce qu'une fenêtre. Tant ils devinent qu'un seul de ses rayons suffirait à balayer tous les leurs ! Alors, ils se claquemurent, bannissent le moindre carreau, pis que des vampires ! Regarde : ils s'enterrent ! Chiche que les néons éteints, c'est le vol des chauves-souris ?
     Ça sent le café, non ? Une arme terrible, les odeurs. Bien plus redoutable que la lumière. Parce que ça ne se trafique pas. Enfin... Je ne crois pas.
     Peut-être bien après tout, je ne suis pas chimiste. T'as raison, j'édulcore. Je me dégoûte à force d'à force, alors moi aussi je veux croire que quelque chose leur échappe. Quand ce n'est pas vrai, t'as raison. Merci de me reprendre. Il y a des laboratoires en sous-sous-sol, distillateurs de parfums artificiels, hallucinogènes, c'est vrai.
     T'as pris quoi comme café ?  Fais voir ! Ah oui, dix euros le kilo, quand même ! Ils ne se mouchent pas du coude, hein ? Tu dis ? Que c'est du machin garanti commerce équitable. T'es certaine ? T'as payé combien en plus ? Trois euros ! Pas mal !  Sauf que... Que t'es pas sûre qu'ils vont directement dans la poche des petits producteurs, tes trois euros. Je ne voudrais pas te faire de peine, mais il n'y a pas de raison qu'ils ne prennent pas leur bénéfice là-dessus aussi. À du mille pourcents, du producteur au consommateur, marge habituelle, t'as filé trente centimes aux cueilleurs Kenyans ou Colombiens - qui bossent jusqu'à l'évanouissement ; contre deux euros septante à ton distributeur - qui n'a pas levé le petit doigt. Tu comprends pourquoi il était à portée de mains, ton café équitable ?
     Rien n'est laissé au hasard, je te le répète. Tiens, tes pommes, par exemple, si tu savais... Bien sûr, c'est bon pour la santé, les pommes. T'as même un président qui s'est fait élire avec ce seul programme ! Mais quand il exhortait ses concitoyens à manger des pommes, il ne devait pas parler des mêmes. Parce que les tiennes, bonjour la planète ! Eh oui ma belle, faut se gaffer de tout ici. Être sur le qui-vive, ne pas risquer une main vers un rayon, avant de s'être coupé les deux bras. Qu'est-ce que t'imagines ? Rien de plus dangereux qu'une pomme. Celle qu'Adam a mordue continue à faire des milliers de victimes de par le monde, alors six d'un coup, comme les tiennes, ça jette un froid. Allez, sois gentille, remets-les bien vite dans le rayon : on évitera peut-être l'holocauste et je pourrais rester avec toi. Moi, exagérer ? Pense-tu ! Approche que je t'explique.
     À ta gauche, salement éclairées, d'accès difficile - faut se baisser - des pommes inoffensives et saines, en vrac. À ta droite, sous les sunlights, à portée de mains - de bouche, s'ils le pouvaient - des pommes tueuses et polluées, sous cellophane. Avec un ravier et un collier en mailles d'hydrocarbure rose autour de chaque fruit, pour faire joli. Bonjour le recyclage ! Des emballages immortels qui viendront gonfler les décharges. Contre lesquels tu pesteras dans moins d'une heure, parce que le grincement du polystyrène sous tes doigts te fera grimper aux murs. Mais des emballages que tu auras pourtant préférés au produit brut, parce t'aimes bien le rose, que t'es plus docile qu'un système binaire et que tu t'imagines que c'est plus propre ainsi. Ce qui ne t'empêchera pas, de retour au bercail, loin des attrape-nigauds, de passer ta pomme sous le robinet ou de la lustrer avec ton pull, histoire d'en éliminer les pesticides. Te dire que la méfiance règne, l'air de rien, mais qu'ils parviennent à te l'emballer le temps d'un achat, à grands coups de spots et d'appâts rances.
     Attends ! Je n'ai pas fini. L'emballage inutile, ce n'est qu'un hors-d'oeuvre. Regarde donc sous le ravier ! T'as vu : « Made in Japan » ! Ne t'y trompe pas, on ne te parle pas du ravier, mais de la pomme. Oui, ma belle, ta pomme est japonaise. Ça t'en bouche un coin, hein ? Des cerisiers japonais, t'admets, mais des pommiers ! Elle est japonaise et te coûte moins cher dans son écrin de pétrole que sa consoeur du terroir, bonne pomme, nue sous sa pelure. En achetant ta pomme exotique, t'as contribué à l'affrètement de milliers d'avions cargos. On les voit bien au crépuscule, par temps clair : le ciel orange et bleu est zébré du  kérosène de leurs réacteurs. L'autre jour, j'en ai dénombré plus de vingt dans un même ciel. C'est ta pomme du bout du monde qui s'en va joyeusement croquer la couche d'ozone et grossir les gaz à effet de serre. Ta pomme qui s'en va gaiement inonder l'Indonésie, ravager la Nouvelle Orléans et décimer le Bangladesh ! Ça ne tiendrait qu'à moi, je t'enfermerais sur l'heure pour génocide.
     Quand tu n'avais qu'à traverser la rue ! Que mon fermier t'attendait les bras ouverts, qu'il te l'aurait vendue pour deux sous avec le sourire, ta pomme. Heureux de ne pas devoir la renvoyer au compost, la mort dans l'âme, alimenter un cycle inutile. Heureux de ne pas devoir accepter, contre son gré, parce qu'il faut bien vivre, une aide gouvernementale et ses quotas de production. Du pognon pour qu'il ferme bien sa gueule et renonce à abattre, comme il le voudrait tant - comme il le devrait - les cargos fructifères survolant ses vergers.
     Dis donc ! Je cause, je cause, mais j'ai l'impression qu'on nous suit. Je te jure, c'est vrai. Ce type, là, avec son calepin en mains, il était déjà derrière nous quand nous sommes entrés. Regarde, il prend des notes. Tout ce que tu veux qu'il est de la maison. Les caméras ne leur suffisent pas, ils veulent mater jusque dans les moindres recoins, pis que des voyeurs à la serrure des cagoinces.
     Tu sais le pourquoi de ce gus à nos guêtres ? Notre itinéraire un peu fantasque. Deux ou trois écarts improvisés, imprévisibles. Ça les a intrigués, alors ils ont envoyé un espion, pour suivre et dessiner notre parcours, histoire de déterminer l'origine de notre errance. Bien la circonscrire pour éviter la récidive. Plus jamais ça! Et si cela ne suffit pas à nous parquer, ils ne se gêneront pas pour interdire toute trajectoire transversale ou demi-tour. Les rayons courront d'un bout à l'autre du magasin, sans discontinuité, à la façon de ces barrières qui canalisent la clientèle des parcs d'attraction ou des guichets aux heures de pointe. La première allée enquillée, tu devras faire le grand tour : deux kilomètres inutiles, du manteau d'astrakan à la télé plasma, du gigot surgelé à la fausse plage dominicaine. Tout ça pour un quart de sucre ou un litre d'eau. Si ce n'était le risque d'incendie et celui de nous voir cramer en file indienne - plus par souci des procès que de nos vies, tu penses ! - ça serait déjà adopté, les rayons en lacets, façon route de montagne.
     On claustrophobe rien qu'à l'idée, hein ? Nie pas, tu transpires ! T'as peur, pis que tout à l'heure. Tu n'en peux plus ? Moi non plus, mon amour. Je suis à bout. Vite, tirons-nous ! Mais cours bon sang, cours ! Par là, sur ta droite, c'est un raccourci. Plus vite ! Ils nous rattrapent. Vont dégainer, tu crois ? Ils peuvent ? Nous abattre ici comme de vulgaires pillards ?
     « Ça va, c'est bon, on se rend. Par pitié, ne tirez pas ! On n'a rien piqué. »
     Lève les bras, ma chérie. Lève les bras ! Tu ne peux pas ? Le cœur ? Ça cogne ? Alors, couche-toi et ne bouge plus surtout. Laisse-les faire, surtout laisse-les faire ! Tu vois bien qu'ils sont à bout... Si on en réchappe, je te jure que plus jamais...
     « Sortir, Monsieur, juste sortir. Malade, vomir, sortir. S'il vous plaît. Merci. »
     Ouf, le soleil ! Tudieu cette lumière ! Et le ciel, mon amour, j'avais oublié. T'as vu comme il est beau, comme il est bleu ? Et grand, si grand qu'on pourrait le croire infini. On l'a échappé belle, hein ? On l'a vraiment échappé belle ! Cette trouille ! Verte ! J'ai cru crever. Jamais plus on ne nous y reprendra, hein, dis, jamais plus ? Jure, jure-le !
     Mais... mais... T'es où ? Restée ? Oh non, merde, tu n'as pas pu me faire ça !
     J'ai tout donné et t'es là, tranquille, à l'intérieur, consommée et consommant, comme si je n'avais rien dit. D'accord, j'ai paniqué, détalé, mais tout de même, j'ai bien bossé. Enfin... je croyais.
     C'est injuste. Ça n'aurait servi à rien, tout ça ? Je pensais pourtant tenir le bon bout cette fois. Les doigts couraient sur le clavier, t'aurais dû voir comme ! La transe ou presque. C'est rare, tu sais, très rare. Je croyais que c'était un signe qui ne trompait pas. Erreur, puisque je n'ai rien suscité chez toi. Que le mépris. Le mépris et ton caddie. Boursouflé, dégorgeant son trop-plein sur le tapis.  Ai-je été à ce point lamentable ?
     C'est qui le grand con qui te dépasse, se faufile entre ton chariot et l'autre caisse ? Ensache en souriant. Salivant, même, quand ce sont des chips ou des petites boîtes de saucisses.
     Qui ? Ton mari ? Ça ! Ton mari ! Ciel ! Quand j'étais là, moi, à ta portée, attentif et aimant ! Mais qu'est-ce que tu lui trouves de plus que moi, hein, qu'est-ce que tu lui trouves de plus que moi ?

Patrick LEDENT

Décembre 2006

 

27-02-09-(3) les bièstries de gaelle                                                                                             

Car, bien sûr, les clients qui s'autofacturent sont contrôlés à la sortie...

(Image « empruntée », sans self-scan, au blog Les bièstries de Gaëlle,
http://gaellecarlier.blogspot.com/2009/02/le-self-scannin... )



LIVRES

couv-jolicoup.jpgJ'en avais bien fourgué quelques-unes à gauche et à droite (plus à gauche qu'à droite, d'ailleurs - on ne se refait pas), à la faveur de l'un ou l'autre concours, mais je n'avais encore jamais dégotté une éditrice qui accepte de brasser tout ça - et le reste - pour accoucher d'un premier volume intitulé « Joli Coup ». Personnellement, elles ne me font plus vraiment rire, mes nouvelles - je les connais par cœur - mais pour vous, pour qui c'est nouveau, ça devrait marcher. C'est fait pour ça !

226 pageS - 15,75 € - ISBN 978-2-916608-12-9 - Mise en vente : 2009
ÉDITIONS Calliopées SYLVIE TOURNADRE
TÉL./FAX : + 33 1 46 42 15 77 - GSM : + 33 6 25 21 73 09
editions@calliopees.fr - www.calliopees.fr

La maison a très intelligemment décidé de jouer Internet contre les sangsues et d'ouvrir une e-librairie, que voici :
http://www.calliopees.fr/calliopees/e-librairie/index.html

Si on est belge, on peut aussi trouver ce livre ici :

Tropismes Libraires  (http://www.tropismes.com/)
11, Galerie des Princes - Bruxelles
02 512 88 52
info@tropismes.be

et là :

Le Comptoir - Petits éditeurs et métiers du livre (http://www.lecomptoir.be/boutique/info)
20 en Neuvice
B-4000 Liège
Tél : (+32) 04 250 26 50
Fax : (+32) 04 250 28 50
info@lecomptoir.be

 

L'admiratrice et consoeur - également nouvelliste - est Magali Duru, de Toulouse, et son blog est ici : http://magali.duru.over-blog.com/

 

 

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fouslitt.jpg

Blavier André
Les Fous Littéraires
1052 p. (17 x24) ; papier bible, nombreuses illustrations ; ISBN: 2-86742-094-6 ; Paris, des Cendres, 2000 ; 69 €.
Édition corrigée et très considérablement augmentée de l'ouvrage de référence en matière de «fous littéraires». «Ils sont ou ne sont pas dans le Blavier...»

L'auteur d'Occupe-toi d'homélies, fondateur de temps mêlés et du Centre de Documentation Raymond Queneau n'a cessé de fréquenter (littérairement) les hétéroclites (francophones). La première édition (1982) était depuis longtemps introuvable. On se réjouit d'avoir accès à nouveau aux inventions des fous littéraires.

Voir aussi: Raymond Queneau : Comprendre la Folie, Charles Nodier : Bibliographie des Fous. (Ces deux volumes et A propos des Fous Littéraires, tous trois ornés d'un collage d'André Stas, forment la première "série" de la nouvelle collection: "De 3 en 3").

« Dans les années trente, Raymond Queneau a conçu le projet d'une anthologie des fous littéraires français du XIXème siècle, qu'il avait repérés à la Bibliothèque Nationale; mais, tel quel, son manuscrit, comprenant des extraits, biographies, bibliographies et parfois quelques commentaires, quand il y avait lieu, n'a pas été édité. Le texte comptait plusieurs centaines de pages in-4° dactylographiées. J'en ai une copie, et il en existe une au Centre de Documentation Raymond Queneau, à Verviers.

«  Pour ne pas perdre complètement le fruit de plusieurs années de travail - en ce temps-là, il n'était pas question de photocopies, et Queneau retranscrivait à la main de longs passages -, il a utilisé une partie de ces notes dans un roman: Les Enfants du Limon.

«  Calvino, je crois, a dit que Raymond Queneau était un explorateur d'univers imaginaires. Le côté exorbitant et ahurissant de certains fous l'amenait à se demander comment il était possible de penser comme ça. Comment, dans un monde prétendument rationnel, toutes ces excroissances, ces exubérances avaient-elles pu naître dans des cerveaux humains ? Il dit quelque part que les fous littéraires sont la honte de la science, du moins la science officielle de l'époque.»

 

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Immermann 1

         

Karl-Lebrecht Immermann (1796-1840)

Münchhausen
Une histoire en arabesques


TRADUIT DE L'ALLEMAND PAR ODETTE BLAVIER
d'après Münchhausen. Eine Geschichte in Arabesken, Berlin, Aufbau Verlag, 1955
Paris, Cartouche, 2 vols. 2007 et 2008.

 

Ah, ce Münchhausen, biscornu jusque dans l'édition de ses histoires !

Comme tout le monde le sait ou devrait le savoir, celui-ci est le neveu de l'autre. Il serait triste de se priver du dossier que leur a consacré en son temps le site voilà.fr :

http://munchhausen.site.voila.fr/Munchhausen.html



Catherine L.