15/04/2017

AMEN - 2/4

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AMEN

(2/4)

 

                                                par Théroigne

Oui, l’aède a encore frappé

232 pages grand format chez Miroir Sphérique, pour tenter de sortir de l’abîme une passive planète et la hisser sur ses épaules coléreuses.

 

« La réforme de la conscience consiste uniquement à rendre le monde conscient de lui-même, à le réveiller du sommeil où il se rêve lui-même, à lui expliquer ses propres actions (…) La conscience est une chose que le monde doit faire sienne, même contre son gré (…) On verra alors que, depuis longtemps, le monde possède le rêve d’une chose dont il suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement ».

Karl Marx, 1843

 

 

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Informations pratiques

Le livre est disponible à Tropismes libraires
11 Galerie des Princes à Bruxelles - Téléphone 02 512 88 52

disponible également à la librairie À Livre Ouvert
116 rue Saint-Lambert 1200 Bruxelles - Téléphone 02 762 98 76

On peut aussi le commander en versant 20 € sur le compte
BE87 0630 2994 9894 de Michèle Vingerhoets en mentionnant Amen
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On ne voudrait pas vous gâcher le plaisir de la découverte, mais notre conscience d’internautes blogueurs nous impose de donner quelques éclaircissements sur l’auteur à ceux qui n’étaient pas là la dernière fois.

Qui est Anatole Atlas (alias Jean-Louis Lippert, alias Juan Luis de Loyola, etc.) ? Un écrivain belge. Malédiction s’il en fut.

Membre de l’Internationale Situationniste mais qui passa outre (voir Confession de Guy Debord ).

Fauteur de troubles et de happenings qui lui firent à l’occasion interrompre des péroraisons qui se fussent sans lui déroulées dans un consensuel ronron (Lacan, Tapie, Minc, etc.)

Mais pas seulement.

Donc, voici qu’Atlas (etc. etc.) sort son 24e livre. À compte d’auteur. Comme le précédent, Berlue d’Hurluberlu, dont il a été ici question en juin de l’année dernière.

Queneau et Blavier vont devoir, où qu’ils soient, réviser leurs critères d’admission à la folie littéraire, car s’auto-éditer n’est plus aujourd’hui signe de l’aliénation mentale de celui qui s’auto-édite, mais de celle de la société décérébrée qui ne veut pas de lui. C’est juste un signe d’exclusion. Comme l’a dit quelqu’un « les cinglés nous ont enfermés dans l’asile et ils sont partis avec la clé ». On voit ces jours-ci à quoi ils s’occupent.

Mais Atlas n’est pas qu’un auteur qui fait peur aux conformistes et autres larbins volontaires, il est aussi poète, penseur, politique aigu et romancier fantasmagorique, davantage comparable, dans l’art de son pays, à des peintres – Bosch, les Breughel et Somville par exemple – qu’à d’autres écrivains. Encore que sa vision des choses l’apparente aussi à Scutenaire (que les éditions Allia republient justement – bravo ! – mais pourquoi pas Atlas ? Peur de quoi ?).

Atlas est aussi à mes yeux, en littérature, l’héritier et le continuateur de deux auteurs que peut-être il ne connaît pas car on ne peut pas TOUT savoir. Je ne crois pas superflu de vous en dire ou redire deux mots au passage, pour soutenir ma comparaison.

Le premier écrivain de stature internationale à s’être auto-édité, tant par nécessité que par principe, fut Robert Graves. C’était en 1928. En 1929, il s’exilait à Deià (Majorque), avec presse, femme et enfants. Le mot qui convient à ce genre de comportement est « résistance ». Résistance à un avenir que, seul en France, Louis-Ferdinand Céline voyait se profiler à l’horizon, et dont nous connaissons aujourd’hui la sinistre réalité.

Quand, après la guerre (IIe mondiale) il retourna vivre sur l’île, à ceux qui lui reprochaient d’envoyer ses enfants à l’école des sœurs sous Franco, il répondait qu’ils y couraient moins de risques qu’à Oxford ou à Cambridge.

Graves fut avant tout poète – un des plus grands – mais aussi savant, historien, romancier, penseur, mythologue de haute volée. Lui non plus ne fut pas d’emblée reconnu pour ce qu’il était par la société de son pays d’origine, qui ne l’admit, bon gré mal gré, qu’après que le reste du monde l’y eût quasiment forcée.

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Graves est aussi le premier à avoir donné un langage cohérent à « l’homme des cavernes » (qui fut peut-être une femme), en décryptant une peinture rupestre vieille de 25 à 30.000 ans, c’est-à-dire en expliquant aux ignorants analphabètes ou éduqués que nous sommes ce que signifiait la danse des neuf femmes de la grotte aurignacienne de Cogul et en précisant qu’il s’agissait à la fois d’une représentation symbolique de la lune et d’un sacrifice humain sanglant, donnant ainsi d’avance raison à ce que soutient Atlas dans Amen.

 

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Atlas, dans ce dernier opus, nous parle, lui, d’une autre caverne : celle de Lascaux, vieille seulement il est vrai de 17 ou 18.000 ans, dont il s’approprie l’homme ithyphallique à tête d’oiseau pour en faire un Phénix, car à quoi diantre auraient servi, sinon, tant de millénaires de tribulations et son sang qui coule – forcément – dans nos veines ?

 

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Bon, d’accord, il triche un peu en logeant une main dessinée au pochoir dans la panse de son mammouth, ce sont là licences poétiques permises dans les romans.

Par sa vaste culture et son contact intime avec ce qu’il y a de plus profondément enraciné dans le populaire, Atlas s’apparente aussi à John Cowper Powys, qui présentait – ô combien – cette dichotomie ou si on veut cette ambivalence, puisqu’il fut à la fois conférencier philosophico-littéraire, poète, romancier, étourdissant épistolier et authentique chaman, car comment appeler autrement quelqu’un capable non seulement de tomber en extase volontaire en contemplant un lichen sur un vieux mur et de se projeter à distance aux yeux de qui pouvait le reconnaître (le fait a été attesté par Théodore Dreiser), mais également de transposer ces expériences mystico-matérialistes en littérature, comme il l’a fait notamment dans Owen Glendower et dans Porius.

Porius (« je viens de terminer un roman plus long que Guerre et paix ! »), chef d’œuvre absolu mutilé par son auteur même, qui dut en retrancher plus de la moitié – « Trop de pages, monsieur Powys ! » – pour que des MacDonald qui n’étaient même pas empereurs condescendent à publier le reste. Il n’est donc pas question, chez lui, d’auto-édition mais de massacre par l’édition mercantile.

Je ne rappellerai pas – à quoi bon - les démêlés de Céline avec « Gaston ». Toute une époque. La nôtre.

Où le philosophe Manuel de Diéguez est le seul en France, à ma connaissance, qui ait décidé – en mars 2001 – de rompre tous liens avec l’édition marchande et de s’auto-éditer désormais sur Internet.

 

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Une autre caractéristique de l’auteur d’Amen est sa véhémence. À l’âge d’être grand-père, il a gardé celle de ses vingt ans. Faut-il dire que c’est ce qui fait le plus trembler ses pleutres compatriotes ?

Un auteur doté d’une telle énergie en exige autant de son lecteur. Pas question de lire passivement Atlas. Mais peut-on lire passivement, indolemment Rabelais ? Ou Rimbaud ?

Détail pour finir : Amen fourmille de citations. Ce n’est pas du name dropping ni un étalage de savoir : aucune citation n’est superflue, chacune est éclairante et nécessaire, elles résultent toutes d’un commerce familier avec les plus beaux génies de plusieurs civilisations.

 

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De quoi est-il question dans Amen ?

 

De tout. De la vie, de la mort, de l’histoire, de l’art, de sensations (ou de perceptions ?), de sentiments, d’un diagnostic politique hautement autorisé sur les maux qui nous affligent et d’un futur qui pourrait être si différent si nous étions moins nuls, bref de pourquoi nous sommes venus sur la terre et de ce que nous sommes censés y faire. C’est une promenade à la fois dans l’espace et dans le temps (l’espace-temps soi-même, hommage à Einstein en passant) grâce à un « Oeil imaginal », qui donne raison à Powys, pour qui deux plus deux faisaient cinq, « puisque l’imagination est un fait ». Oui, je sais que je me répète, mais j’aime bien.

L’auteur, non content de s’y exprimer à la première personne y rencontre son double, ou plutôt, lui-même à la moitié de son âge, et ses deux moitiés ne font pas que se croiser mais discutent (on trouve rarement aussi bon interlocuteur que soi-même). Et, bien sûr, ils y sont aux prises, comme dans Berlue d’Hurluberlu, avec Kapitotal et sa tour Panoptic, ces deux Léviathans post-modernes.

Au premier rang des autres personnages, la sublime Shéhérazade joue à la fois les initiatrices et les dea ex-machina sans cesser jamais d’être la femme de l’auteur, dont elle emprunte l’allure et les traits y compris de caractère, car Amen est aussi un beau chant d’amour sur le tard à la compagne de toute une vie.

L’action se situe quelque part en Atlantide, entre les colonnes d’Hercule, à l’extrême pointe du Maghreb, « face au rocher des Djinns ».

Bien sûr, on retrouvera, « sur le divan de Shéhérazade » des personnages chers à l’auteur, Thomas More notamment, qui fut la star de Berlue, Jules Maigret, son acolyte, et un nouveau venu : Thyl Ulenspiegel. Mais on voit aussi se pointer – à dos d’ânes – Bill Gates et son secrétaire, qui n’est autre qu’Ibn Sīnā – Avicenne – incognito, car Bill Gates est très malade, si malade qu’il ne faut rien moins pour le soigner que le Prince des Médecins d’il y a mille ans, convoqué du fond des âges, que tout ce qui se déroule sous ses yeux intéresse beaucoup et qui s’amusera à provoquer chez les malfaisants un chaos estimé créateur (chacun son tour).

Au milieu des allers-retours fantasmagoriques (espace-temps on vous dit) se déroule une bien intéressante partie de poker à laquelle se livre la « bande des quatre », entendez le roi, l’émir, le sultan et le parrain. Le roi est évidemment celui d’Arabie Saoudite, l’émir, celui du Qatar, le sultan, frère Erdogan de Turquie soi-même et le parrain, Netanyahou d’Israël en Palestine. Ai-je dit « poker menteur » ? Cela va de soi. Shéhérazade à la baguette : « Vous serez Hamlet et Don Quichote, Faust et Don Juan ». À l’émir du Qatar l’honneur d’incarner le prince Hamlet; c’est le roi Saoud qui sera Faust (on devine assez pourquoi), Erdogan sera Quichote, son absolu contraire (« Vous avez vu mon putsch ? ») et à Bibi reviendra comme de juste le rôle du Séducteur. La partie se déroulera, pour faire bonne mesure, sous les yeux d’un ex-Premier ministre belge à nœud pap et d’un ex-ministre de la Culture, belge aussi, qui fut jadis philosophe. Comme le temps passe…

On s’en voudrait d’oublier le couple de tourtereaux devant qui s’ouvrent des horizons insoupçonnés : Hillary Bomb et Killer Donald dont l’idylle à venir nous est contée par l’aède en ce beau mois de décembre 2016.

Vous en révéler davantage serait déflorer. Laissons la parole à l’auteur-éditeur :

 

Toute écriture est tentative de vision globale par l'OEil imaginal. Aussi le couple de l'aède et de Shéhérazade a-t-il réuni, sur la scène triangulaire de l'Atlantide - entre Afrique, Europe et Amérique - trois singulièrement universels personnages de la littérature belge : Thyl, Jules et Anatole... Qu'en est-il de la Parole quand elle est soumise à la Valeur, l'une et l'autre aux ordres de la finance et du crime organisé ? Quand les jeux d'intrigues et les trafics d'influence imposent la logique du calcul et des chiffres à la dialectique des lettres et des idées, qu'est-ce encore qu'une idée ? Quand le marché ne se différencie plus de sa représentation, qu'en est-il d'une représentation nommant crimes contre l'humanité ses promesses d'accès à la totalité ; et  psychocide, sa prétention d'englober l'espace imaginal où naquirent idées et divinités

 

Qu'est-ce qui se passe ?

Pour la première fois, depuis les temps immémoriaux de sa damnation par l'Olympe, Atlas pris de vertige oscilla sur son axe aux Colonnes d'Hercule et s'écroula dans l'océan portant son nom.

L'âge des titans remontait à celui du silex.

Un seul pas lui fit franchir tous les millénaires jusqu'à la Silicon Valley.

Qu'est-ce qui se passe, en l'ère très libérale du laisser-faire laisser-passer  ?

Qu'est-ce qui se passe, quand poser des limites au marché est la pire des fautes selon Christine Lagarde, chef du FMI ? Quand la criminalité financière est infiniment plus meurtrière que les diversions complices du terrorisme ? Quand une concurrence féroce pour l'accumulation des richesses impose fractures et désastres sans nombre ? Quand, sur ces abîmes, flotte l'image fallacieuse d'une harmonieuse globalisation ? Quand une logique tribale propre à la mafia gouverne tous les États ?

Qu'est-ce qui se passe pour cet être de passage qu'est anthropos, le seul être qui trépasse ? Quelle communauté nécessaire par-delà les identités contingentes ? Qu'est-ce qui se passe quand prospèrent les passeurs de clandestins dans un tour de passe-passe pour la gloire des assassins ?

Quand une économie de charognards prédateurs et déprédateurs se masque d'idéologies humanitaires ; quand la politique, de part et d’autre de l’Atlantique, ne se fonde plus sur le sens d’une parole publique mais sur les performances de showmen sponsorisés par des banquiers ; quand un vitalisme d'artifice farde la dévoration du vivant par ce travail mort qu'est le capital ?

Salle des pas perdus que ce labyrinthe aux miroirs de l'histoire humaine pour un descendant de Chronos condamné par les dieux. Mais aussi, comme disait Rimbaud: Tenir le pas gagné ! Tel est le mot de passe...

Ciel-Terre-Homme : relation de continuité entre anthropos et le cosmos.

*

On croit penser, on pense croire : quelle part de croire et de penser ? Comment relier terre et ciel sans l’Œil imaginal ? Faute qu’un rêve ne médiatise idéalisme et matérialisme, la querelle d’ivrognes entre profane et sacré, foi et raison, science et religion, se résout en la double démence d’une religion de la science et d’une prétendue science de la religion.

Blanche colombe de Jérusalem et chouette noire d’Athéna : votre conflit promet l’hécatombe d’un holocauste qui ridiculisera tous les massacres industriels du siècle XXe !

L’Homme-Oiseau de Lascaux propose donc ici le Phénix comme image dialectique réconciliant ces modalités complémentaires du psychisme : entre révélation prophétique et réflexion philosophique – l’intuition poétique. Entre l’angélie et l’exégèse – le

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La Phénicie reliant les aires hellénique et sémitique, n’est-on pas sur les terres natales de l’aède ? Sa vision globale, depuis Homère, envisagea toujours un autre monde possible, parce qu’elle n’occultait pas ce qui était autre en ce monde-ci ; non sans assumer le point de vue des vaincus. Grâce à l’Œil imaginal, Thyl Ulenspiegel revit donc en ces pages pour y lancer un cri de guerre toujours en surplomb de la littérature universelle : Vive le Gueux !

 

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Lire la suite ici…

Source : http://www.spherisme.be/Texte/Amen.htm

 

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Ai-je dit qu’Anatole Atlas joue de sa langue comme Nigel Kennedy de son violon ? Voilà qui est fait et démontré.

Petit extrait, choisi par moi :

 

Une fumée bleue chargée des effluves de la lune et de la mer, du kif et du méchoui, pousse à la frénésie les chants berbères sur le rocher des djinns. « C’est l’existence d’un axe reliant ciel et terre à l’essence de l’humanité qui est niée par le capitalisme. » affirme une voix d’outre-miroir, dans la caverne obscure de cette capitale des Lumières. « La critique du racisme, du colonialisme et de l’impérialisme est intrinsèque à toute conscience, comme celles du sionisme et du pangermanisme furent indissociables des génies juif et allemand. Ces zones aveugles de la culture occidentale, où s’effacent les horizons de la démocratie, des Lumières et de la tradition chrétienne, éclairent l’antre d’un universel Moloch. La confusion entre « Juifs » et idéologies prétendant les représenter, comme entre critiques de celles-ci et « antisémitisme » ressemble trop à la confusion de jadis entre critique du nazisme et germanophobie, pour que l’on ne s’avise du fait que Bertold Brecht et Walter Benjamin appartenaient au Parti qui combattit ensemble Hitler et Rothschild, ces deux modalités rivales d’un principe supérieur conférant légitimité morale à la domination. Ce fut vrai pour Israël en Canaan comme pour la Drang nach Osten en terre slave. Sous le postulat d’une espèce humaine ontologiquement scindée, furent menées toutes les entreprises coloniales, inspirées par le judéo-christianisme ou par un paganisme archaïque. Au cœur des mythologies européennes, le panthéon germanique exalté par les nazis manifeste une concurrence avec les fables bibliques. L’un et l’autre systèmes opposent une race d’élection divine aux engeances inférieures. Si le peuple juif est ravalé par le Führer au rang des Niebelungen, la Kommandantur d’Israël ne traite pas autrement les Palestiniens. Lors de la première guerre mondiale, c’est en invoquant le Deutéronome (et l’histoire d’un roi dont le territoire fut réduit à néant pour ne s’être pas laissé traverser par les Israélites) que les troupes du Reich justifièrent leur invasion de la Belgique. Avatar du pangermanisme. George Bush n’a-t-il pas tenté d’associer la France à son agression de l’Irak, en lui faisant miroiter le combat biblique opposant les tribus d’Israël à Gog et Magog ? Mais si l’identité juive était son ennemi substantiel pour le IIIe Reich, car un totale Staat fondé sur la scission radicale entre élus et damnés ne pouvait coexister avec une idéologie similaire, l’ennemi principiel, celui dont la haute finance et la grande industrie confièrent à Hitler une mission de radicale Vernichtung, était le communisme en Allemagne et en Europe, l’Union soviétique à l’Est, et tout l’espace vital que les Slaves devaient céder à la race élue. Ce qui s’opère aujourd’hui par d’autres méthodes. » (Page 40)


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Et deux dernières pages pour la route :

 

Shéhérazade parle. Anatole, frère du Titan Prométhée, et son double d’il y a 30 ans conversent. Mais les figurants « pipole » ne manquent pas, dans ce fantasmagorique Théâtre de l’Atlantide …

 

« […] Combien de fois désespérée ! Seule comptait à mes yeux ton œuvre dont nul ne voulait. Toi quelquefois qui m’insultais ! Mais tu étais Atlas et j’étais ta Pléione, et malgré tout rayonnent à jamais nos deux Pléiades. » Comment transcrire ce qui par aucun mot, en aucun lieu ni temps, émane de celle dont je partage la vie depuis trente-trois ans. La lumière aurorale nimbait d’une aura surnaturelle, en ce crépuscule du monde, une essence d’amour pur, que des yeux vieillis par l’existence avaient fini par ne plus reconnaître, au fil des jours et des nuits de la vie quotidienne. Et pourtant c’était elle, rayonnante et belle, comme lors du premier échange de regards, lorsqu’elle avait seize ans, dans le bus 30 menant au Baneik. « Je t’apparais sous cette forme – ou plutôt Shéhérazade emprunte mon apparence – pour que tu n’aies nul doute sur la nécessité de poursuivre une élucidation du monde actuel par ce Théâtre de l’Atlantide. L’heure n’est pas encore venue de te présenter deux assesseurs pour me seconder sur ce Divan. Je te laisse retrouver d’abord une vieille connaissance à toi. Puis se poursuivra l’aventure entamée avec Bill Gates et Ibn Sīnā. » L’ensemble des visions que j’avais de la scène empêchait d’en discerner les détails. Mais à mesure que se précisaient les contours du Divan, j’y reconnaissais une silhouette assise aux côtés de ma belle. Veste de cuir à tête de mort, maillot de foot aux bandes verticales, sandales mexicaines : celui que j’étais avant ma rencontre avec elle, au retour de Leningrad ! Mon double dans une existence alternative, qui m’avait ouvert le chemin vers le rocher des Djinns, semblait à l’aise comme chez lui sur ce Divan. « Pourquoi ne m’as-tu pas écouté mon pauvre vieux, tu n’en serais pas là. C’était difficile, mais comment t’es-tu laissé prendre à leurs pièges ? Aujourd’hui, ce n’est pas que tu sois battu, tu n’existes pas. Les officiels n’homologuent pas tes records, puisqu’ils ne sont même pas enregistrés. Rayé des tablettes ! Effacé ! Gommé ! Le seul roman belge évoquant la colonisation du Congo, passé à la trappe ! Mais pourquoi es-tu encore dans leur jeu ? Je t’avais pourtant dit de n’utiliser aucun nom d’auteur. Anonymat complet ! L’œuvre littéraire majeure d’un  pays, sans aucune signature. Mon nom est personne. Ah, cette vanité d’artiste ! Quant à ton double, dans une existence alternative, il s’est engagé à ne pas s’engager du tout dans les secteurs visibles de la société, poursuivant d’humbles boulots de prolétaire, ce que tu étais toi-même avant d’entrer dans leur grand cirque aux illusions. Dévoiler la mascarade : je n’ai rien fait d’autre, et je me réjouis du fait que tu aies parfois suivi mon inspiration. Qu’est-ce que ce monde ? Quel est son but ? Pourquoi vivre comme ça ? Telles étaient les questions que je te suggérais d’approfondir, au lieu de rechercher une place d’honneur dans les journaux. Tu as vu le résultat ? Cette époque se caractérise par l’exclusion de toute instance posant les questions essentielles depuis Socrate : qu’est-ce que le Vrai et le Bien ? Comment pourrait-il en être autrement sur un marché régi par l’injustice et le mensonge. Le seul devoir pour ce marché n’est-il pas le service de la dette ? Celle-ci ne transcende-t-elle pas les devoirs de la philosophie, qui exige avant tout Justice et Vérité ? D’où la nécessité d’interroger ce qui paraît aller de soi. Mais aujourd’hui tous les discours publics de la tour Panoptic n’affirment-ils pas comme allant de soi Kapitotal ? Qu’est d’autre ce système dans sa forme pure, qu’un rapport mécanique entre des marchandises et de l’argent, par l’intermédiaire d’humains réduits à l’état d’objets ? Ce qui ne peut se dire. D’où la nocivité/facticité de ce qui se vend sur ce marché comme de la pensée. Sollers, dans son dernier bouquin, cite Heidegger : “La véritable pensée de l’Histoire ne sera reconnaissable qu’au petit nombre.” Le noyau doctrinal de la race élue synthétisant les idéologies du nazisme, du judaïsme et du néolibéralisme, tient en cette formule algébrique. Il faut l’inverser pour véritablement penser, donc affirmer que Justice et Vérité sont les tâches historiques du plus grand nombre. BHL quant à lui le dépasse en jésuitisme quand il se réfère au Talmud pour pérorer sur l’amour à l’égard de son ennemi, lui qui ne se lave l’âme que dans des bains de sang ! Vois encore le sinistre Attali : “Notre statut d’avenir est celui de l’intermittent du spectacle. Chacun de nous sera appelé à être de plus en plus flexible et mobile”. Houellebecq se glorifie du fait qu’il n’y a pas de “Pourquoi” dans ses romans : “Es gibt kein Warum” était la devise des camps nazis. Minc depuis trente ans prêche “Vive la crise”, qu’il faut comprendre comme “À mort toute critique”. Et Onfray fait fortune contre le communisme. Leurs initiales, je te l’ai dit, forment significativement le mot SHALOM. Quoi d’étonnant si tout cela se déverse d’un container ? Pas de jour sans que le personnel de la tour Panoptic ne batte le rappel des “valeurs” qui fonderaient Kapitotal. C’est pourquoi doit être bannie la pensée de Marx, elle qui analyse en ces simulacres l’exclusive loi de la Valeur. Comment un étage plus bas, les Finkielkraut et les Bruckner jouiraient-ils du prestige dû à des penseurs, s’ils n’oeuvraient à scotomiser toute pensée ? N’entamèrent-ils pas leurs carrières en fouillant les poubelles situationnistes ! Le monde n’est plus qu’une structure instrumentale sans autre finalité que le profit matériel. Or, un instrument n’a pas de tête… » Je suis resté sonné par une diatribe où se trouvait le concentré de ce que je croyais avoir injecté dans mes écrits, sans en connaître la provenance. L’autre de moi-même était toujours là, qui m’inspirait dans l’ombre, et que je décevais. Comme je n’avais peut-être jamais été à la hauteur de Pléione et de Shéhérazade. Elle me congédiait pourtant avec indulgence. « Ne t’en fais pas pour la représentation de cette scène. Un simple divan surmonté de l’inscription Sphère des sphères éclairé par une lanterne, suffira. Les spectateurs comprendront. Tu retrouveras ton chemin grâce à l’homme-oiseau, qui est le plus fiable angelos entre les deux mondes. » La grandiose illumination disparut à ma vue. (Pages 66-67)

 

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Les champs de la littérature sont vastes. D’une part, vous avez ceux qui exploitent longuement leur faible talent pour ne rien dire. De l’autre ceux qui prétendent mordicus vouloir dire des choses qui dérangent la digestion des repus.

Mais qu’importe après tout que tel auteur mondain amuse des parterres de petits marquis en leur confiant qu’il a pendu l’effigie de son illustre ancêtre « dans ses chiottes », si la Caraïbe a recueilli l’héritage de l’illustre ancêtre et su en faire usage avec les résultats qu’on sait ? Qu’importe que telle « baronne belge ayant manifesté sa singularité créative principalement par l’excentricité de ses couvre-chefs » ait été reçue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (ouf !) et en ait profité pour fustiger, dans son discours de réception, les « élucubrations obscures qui ont accouché de livres indigestes et d’idéologies monstrueuses » dont l’aède a bien senti qu’elles le visaient.

Qu’il se souvienne plutôt du jour où celui qui a écrit les Maigret et L’oranger des Maldives a fait ses bagages au fin fond de l’Amérique pour s'en retourner dans le trou du cul du monde où il était né, parce qu’on venait de l’y élire à cette académie provinciale. (Pour y faire quoi grands dieux ?!). Qu’une telle puissance créatrice ait pu cohabiter dans un même homme avec une pareille humilité, cela ne retombe-t-il pas sur nous tous comme Zeus en pluie d’or sur Danaé ?

Ah, laissons les pâles d’Ormesson et les baronnes à chapeaux se vendre avec brio dans les talk shows ! Notre richesse n’est pas de leur monde.

 

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Et à propos de richesses

L’illustration de couverture d’Amen est un détail emprunté à La Terrasse, une tapisserie de Roger Somville.

Somville, peintre belge né en 1923, mort le 31 mars 2014, qui a laissé derrière lui une œuvre considérable et deux générations d’apprentis auxquels il a enseigné son art.

La curiosité m’a fait surfer sur le net à la recherche de tableaux que je ne connaîtrais pas et je suis tombée sur ceci :

 

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me demandant qui ou quoi cela représentait. Et voici ce que j’ai trouvé :

« Roger Somville – Dessin à l’encre sur papier – mis en vente aux enchères par

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au Cercle de Lorraine, 6 Place Poelaerts, 1000 Bruxelles – le 5 juin 2014 ». (Deux mois juste après la mort de l’artiste.)

Somville était communiste.

C’est donc un peintre mineur.

Disons plus justement que c’est, pour cette raison, un peintre qui rapporte actuellement beaucoup moins à MM. « Pierre Bergé et associés » que, par exemple, Magritte.

Valeur d’échange contre valeur d’usage, vous savez…

Vieille histoire.

 

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Mis en ligne le 15 avril 2017.

 

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22:35 Écrit par Theroigne dans Actualité, Général, Loisirs, Web | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook |

Commentaires

Puisqu'on est dans la poésie, la littérature, et l'autogestion !
Puis-je vous rappeler tous les zécrits de Zénon, jeune auteur et poète et auquel j'ai dédié cette page de mon blog, réalisant tous ces textes et poèmes, inédits, en version PDF ;

https://jbl1960blog.wordpress.com/les-chroniques-de-zenon/

En plus de l'âme du poète Zénon, en filigrane, tout autour, vous trouverez la mienne...

Merci à vous ; Au plaisir Jo de www.jbl1960blog.wordpress.com

Écrit par : JBL1960 | 16/04/2017

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