18/01/2011

L'Année du Tigre s'en va

 

 

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Je sais qu’on est déjà le 17 janvier.  Faisons comme si on était le 1er :


L’Année du Tigre s’en va.

On ne la regrettera pas (pauvres tigres!).

L’Année du Lièvre arrive.

 

 

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On vous et on se la souhaite moins bouchée que la précédente, un peu moins sinistre, un peu plus libre pour les embastillés – coeur serré quand on pense à Ibrahim Abdallah et Rouillan – un peu plus égale pour tous, et surtout, un peu fraternelle pour changer.



*


Quelqu’un a fait remarquer que, depuis le temps qu’on se souhaite une nouvelle année meilleure que la précédente et qu’à chaque fois, ça ne rate jamais, elle est pire, pourquoi ne pas essayer de se la souhaiter moche comme tout, pour voir si ça n’inverserait pas la tendance... Allez, vivons dangereusement : on vous la souhaite moche comme tout (pauvres lièvres !).

C’est quoi la suivante ? Ah, 2012...



*


Les débuts d’années sont propres aux bilans et aux prises de bonnes résolutions. On ne peut pas dire, il y a de quoi faire.

Côté bilans, Marie n‘arrive toujours pas à rattraper la déglingue de la Belgique, qui va son train bien plus vite qu’elle n’arrive à l’écrire. Avec un peu de chance, elle va même – la Belgique -  battre le record Guinness du nombre de jours sans gouvernement. On ne peut pas dire que le peuple s’en aperçoive beaucoup : moche avant, moche pendant, moche après. Le paiement des impôts, par exemple (pour ceux qui en paient), n’est pas suspendu en période de vacance(s) du pouvoir. Le paiement des millions de doses de H1N1 inutiles non plus. Il va même falloir financer aussi leur destruction, renflouer peut-être derechef quelques banques et consortiums divers, lesquels ne se gênent pas, cependant, pour élever la voix et réclamer un gouvernement vite-vite, histoire de calmer les agences de notation qui nous lorgnent d’un air sévère, ce qui est mauvais pour les affaires, on devrait pourtant le savoir, bande de nuls qu’on est. Et tout à lavement, comme ne l‘ignorent pas les fans de San Antonio.

Ailleurs, ce n’est guère mieux. Mordechai Vanunu n’a pas pu davantage en 2010 se rendre à Berlin pour recevoir son prix Ossietsky, qu’Ossietsky n’avait pu, en 1935, quitter Berlin pour aller recevoir son prix Nobel. Il en est mort, Ossietsky.  Salement. Croisons les doigts pour que Vanunu survive et puisse aller prendre enfin un bol d’air en Norvège, où on l’attend.

Et puisqu’on parle de gens qui révèlent des trucs et risquent de le payer fort cher, il n’est question ces temps-ci, personne ne l’ignore, que de Wikileaks et de son co-fondateur Julian Assange, dont il n’est pas sûr qu’il ne finisse pas très mal, dans un de ces culs de basse fosse US jusqu’à présent réservés aux Arabes. Déjà l’y a précédé un jeune soldat du nom de Bradley Manning, apparemment affligé de trois tares rédhibitoires : l’altruisme, le courage et quelques principes moraux. Mais de tout cela, nous comptons vous entretenir dans un jour ou deux (promis, juré, craché) avec un Dossier Wikileaks aussi exhaustif que nous le pourrons : les pour, les contre et ceux (dont je suis) qui se demandent toujours si c’est du lard ou du cochon.

Il n’est bruit aussi partout (rumeurs persistantes) que de la future invasion de l’Iran, et, en attendant (pour se faire la main ?) d’un « Plomb Durci II » sur Gaza. Aux dieux ne plaisent ! (à moins qu’ils n’existent pas... chiche ! montrez-le, que vous êtes là). L’Afrique continue à saigner de partout. Ah, ces bienheureuses guerres civiles, qu’il est si amusant de déclencher dans un pays « indépendant » après l’autre, pour ne pas avoir à leur payer la cassitérite nécessaire à la fabrication de nos merveilleux petits parlophones portatifs (« Ouais c’est moi, ch’uis dans le bus, qu’est-ce qu’on mange ? »). Ne parlons pas d’Haïti, où on attend toujours les milliards d’aide US annoncés, qui ont bien été débloqués, si, si, mais dont on a besoin, voyez-vous, pour payer les troupes d’occupation. Sorry guys. Too bad. En revanche on a insisté pour qu’ils aillent voter... élire un nouveau président, qu’on kidnappera dès qu’on pourra pour l’envoyer rejoindre Aristide. En revanche, on leur a ramené Baby Doc. Mais de quoi se plaignent-ils ces jamais contents ?

Les nouvelles ne sont pourtant pas toutes mauvaises d’où qu’elles viennent, comme le chantait Stéphan Eicher, du moins du point de vue de la piétaille, puisque les Tunisiens ont bouté hors leur tyran, usé jusqu’à la corde. Zut alors, il va falloir leur en remanigancer un autre, comme si on n’avait que ça à faire.

Bref, le monde va lui aussi son train, dans une soigneusement organisée confusion des valeurs. Les gens ne savent plus qui est qui et qui fait quoi, si on verra un jour le bout du tunnel ou pas. Déboussolés, exprès. Affolés, exprès. À coups de croquemitaines inventés, alors que les ogres véritables les guignent en claquant du bec dans leur cou.



Cela dit... Que voilà un début d’année du lièvre en fanfare ! Wikileaks, le Liban sans gouvernement comme une vulgaire Belgique, mais avec une vraie classe politique, lui (chapeau, Messieurs !), et maintenant le Maghreb en révolution. On ose à peine mentionner le ras-le-bol des Belges à côté d’issues aussi importantes pour le monde. (Benoît Poelvoorde a quand même décidé de ne plus se raser la barbe tant qu'on n'aurait pas de gouvernement. Il est maso ou quoi ?) Mais les chausse-trapes sous nos pieds sont innombrables autant que variées, car les méchants ne sont pas sans ressources, oh, non.

C’est pourquoi nous avons jugé utile de remettre la mairie au milieu du village et d’en revenir - pour prendre date – à quelques fondamentaux. Trois textes, de trois hommes, qui ont pour dénominateur commun d’être ou d’avoir été, de leur vivant, incorruptibles.

Commençons donc par placer cette remise des compteurs à zéro sous l’égide des droitsdel’homme. Je sais, ils ont en ce moment mauvaise presse... Mais ils ont jadis voulu dire quelque chose, et constitué un si énorme espoir de délivrance pour l’humanité. Évidemment, les ennemis de l’humanité, assoiffés de pouvoir et de rapines, veillaient. Ils s’en sont emparés, les ont adaptés à leurs appétits, triturés, tripotés au point de les rendre méconnaissables, et pour comble d’effronterie, ils s’en servent désormais pour pourrir la vie de toutes les espèces y compris la leur. (Le sémillant Obama attend d’un jour à l’autre son créancier chinois, et « va lui parler des droits de l’homme en Chine », ah mais, croyez-en vos sourcilleux médias, qui le tiennent sévèrement à l’oeil là-dessus, des fois qu’il serait trop mou dans la remontrance, et qui n’ont pas le temps, en plus, de s’occuper des 75 guerres qu’il mène pour les bafouer, ces bondieu de droits, autant qu’il lui est possible, y compris at home, 76e théâtre de guerre depuis Katrina). Oui, bien sûr, c’est au nom des droitsdel’homme qu’ils sont en train de mettre la planète entière dans les fers.  Mais s’ils croient qu’on va les laisser faire... qu’on va se laisser impunément rafler notre héritage, qu’ils disent adieu à leurs illusions. Nous allons, ici, commencer par leur rafraîchir la mémoire en leur balançant les vrais droits (et devoirs) de l’homme. Ceux mis sur le papier en quelques heures, un jour d’avril 1793, par Robespierre et par lui proposés au gouvernement le plus progressiste que la France ait jamais eu. (Souvenirs, souvenirs...)

L’autre fondamental, en ce 17 janvier, cinquantième anniversaire de son assassinat, me paraît être la déclaration faite au peuple congolais, le 30 juin 1960, par Patrice Lumumba. Autant déclaration de principes et d’intentions que testament de mort, là aussi. Je le placerai en dernier, parce que c’est seulement aujourd’hui que la stature, le rôle, l’histoire de Lumumba vont pouvoir prendre leur place au grand jour, après un demi siècle d’occultation par ses puissants assassins, et que je tiens à terminer ce post sur une note d’optimisme.

Entre les deux morts, un vivant. C’est un risque à prendre, car les vivants peuvent toujours déchoir. Mais je ne crois pas que celui-là le fera. Mon troisième fondamental sera donc le dernier en date des rapports anti-empire de William Blum. J’aurais pu choisir n’importe lequel, car tous sont importants, et, même vieux de plusieurs années, aucun n’est obsolète. On peut les relire tous, et ses livres, n’importe quand : ils sont toujours d’actualité, toujours pertinents. Entre les deux hommes d’état générateurs de si grandes choses futures, c’est à dessein que j’intercale ce simple citoyen peu connu du grand public, mais ô combien exemplaire, modèle de tous les citoyens de n’importe où et de n’importe quand.




*



I.

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Dans sa Conspiration pour l’Égalité, Philippe Buonarroti, l’arrière-arrière-arrière...-petit-neveu de Michel Ange, que son dévouement à la Révolution avait fait naturaliser français, écrit, dans un court chapitre intitulé "Déclaration des droits de Robespierre"  :
 

« Avant la chute de la faction girondine, Robespierre croyait que la Convention, dominée par elle, était dans l’impossibilité d’enfanter de bonnes lois ; il pensait d’ailleurs que, dans les circonstances critiques de ce temps-là, le premier soin des mandataires du peuple devait être d’anéantir les nombreux ennemis qui, au-dedans et au dehors, menaçaient l’existence de la république : mais, voyant que les Girondins étaient pressés de consacrer par la législation leurs principes aristocratiques, il opposa à leurs projets sa Déclaration des droits, dans laquelle son intention populaire paraissait à découvert. En rapprochant les doctrines politiques renfermées dans cet écrit et dans les discours que Robespierre prononça dans les derniers temps de sa vie, de la pureté de ses moeurs, de son dévouement, de son courage, de sa modestie et de son rare désintéressement, on est forcé de rendre un éclatant hommage à une si haute sagesse, et on ne peut que détester la perversité ou déplorer l’incompréhensible aveuglement de ceux qui ourdirent et consommèrent son assassinat. »

Plus loin, sous le titre "Constitution de 1793", il poursuit :

« Cependant la constitution de 1793, rédigée à la suite de l’insurrection du 31 mai par la partie de la convention qu’on appelait alors la Montagne, ne répondit pas complètement aux voeux des amis de l’humanité. On regrette d’y trouver les vieilles et désespérantes idées sur le droit de propriété. Au surplus, les droits politiques des citoyens y sont clairement énoncés et clairement garantis, l’instruction de tous y est placée parmi les devoirs de la société ; les changements favorables au peuple y sont faciles et l’exercice de la souveraineté lui est assuré comme il ne le fut jamais.

« Est-ce à une prudente circonspection, commandée par l’attitude hostile des riches ameutés par les girondins ? est-ce à l’influence des égoïstes dans les délibérations de la convention nationale, qu’on doit attribuer les ménagements dont elle fit usage, et le voile sous lequel les députés amis de l’égalité furent obligés de cacher leurs vues ultérieures ?

« Quoi qu’il en soit, il n’est pas moins vrai que le droit de délibérer sur les lois, attribué au peuple, la soumission des mandataires du peuple à ses ordres, et la presque unanimité des voix à laquelle la constitution de 1793 fut acceptée, la firent regarder, à juste titre, comme le palladium de la liberté française. »

À nos yeux, cette Déclaration des droits de Robespierre est la seule qui vaille. Et nous aimerions savoir quel peuple, où sur la terre, appelé à se prononcer par référendum sur n’importe lequel de ses 38 articles, serait assez fou pour ne pas y adhérer.

Pourtant, comme l’a dit Buonarroti : au moment d’en faire la Constitution de la France, les députés montagnards ont bronché devant la moitié au moins des droits énoncés par Robespierre. Ceux refusés ou modifiés par le Législateur de 1793 sont ici marqués d’une astérisque.


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21 avril 1793

DÉCLARATION
DES DROITS  ET DES DEVOIRS DE L’HOMME ET DU CITOYEN,
proposée par Maximilien Robespierre.

 

Les représentants du peuple Français réunis en convention nationale, reconnaissant que les lois humaines qui ne découlent point des lois éternelles de la justice, ne sont que des attentats de l’ignorance et du despotisme contre l’humanité ; convaincus que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme sont les seules causes des crimes et des malheurs du monde, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens, pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur, le magistrat la règle de ses devoirs, le législateur l’objet de sa mission. En conséquence, la convention nationale proclame, à la face de l’univers et sous les yeux du législateur immortel, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen.


ARTICLE 1er


Le but de toute association politique est le maintien des droits naturels et imprescriptibles de l’homme, et le développement de toutes ses facultés.


ART. 2.


Les principaux droits de l’homme sont ceux de pourvoir à la conservation de l’existence et la liberté.

ART. 3.


Ces droits appartiennent également à tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs forces physiques et morales. L’égalité des droits est établie par la nature ; la société, loin d’y porter atteinte, ne fait que la garantir contre l’abus de la force qui la rend illusoire.


ART. 4.


La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme, d’exercer à son gré toutes ses facultés; elle a la justice pour règle, les droits d’autrui pour bornes, la nature pour principe, et la loi pour sauvegarde.

*ART. 5.


Le droit de s’assembler paisiblement, le droit de manifester ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, sont des conséquences si nécessaires du principe de la liberté de l’homme, que la nécessité de les énoncer suppose ou la présence, ou le souvenir récent du despotisme.


*ART. 6.


La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer à son gré de la portion de bien qui lui est garantie par la loi.


*ART. 7.


Le droit de propriété est borné comme tous les autres par l’obligation de respecter les droits d’autrui.


*ART. 8.


Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété de nos semblables.

*ART. 9.


Tout trafic qui viole ce principe est essentiellement illicite et immoral.


ART. 10.


La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. 


ART. 11.


Les secours indispensables à celui qui manque du nécessaire, sont une dette de celui qui possède le superflu. Il appartient à la loi de déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée.


ART. 12.


Les citoyens, dont les revenus n’excèdent point ce qui est nécessaire à leur subsistance, sont dispensés de contribuer aux dépenses publiques ; les autres doivent les supporter progressivement selon l’étendue de leur fortune.


ART. 13.

 
La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens.


ART. 14.


Le peuple est le souverain ; le gouvernement est son ouvrage et sa propriété ; les fonctionnaires publics sont ses commis. Le peuple peut, quand il lui plaît, changer son gouvernement et révoquer ses mandataires.

 
*ART. 15.


La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté du peuple.


*ART. 16.


La loi doit être égale pour tous.


*ART. 17.


La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société ; elle ne peut ordonner que ce qui lui est utile.


ART. 18.


Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l’homme, est essentiellement injuste et tyrannique ; elle n’est point une loi.


ART. 19.


Dans tout état libre, la loi doit surtout défendre la liberté publique et individuelle contre l’autorité de ceux qui gouvenrnent. Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse.


ART. 20.


Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier ; mais le voeu qu’elle exprime doit être respecté comme le voeu d’une portion du peuple, qui doit concourir à former la volonté générale. Chaque section du souverain assemblé doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté ; elle est essentiellement indépendante de toutes les autorités constituées, et maîtresse de régler sa police et ses délibérations.


ART. 21.


Tous les citoyens sont admissibles à toutes les fonctions publiques, sans aucune autre distinction que celle des vertus et des talents, sans aucun autre titre que la confiance du peuple.


ART. 22.


Tous les citoyens ont un droit égal de concourir à la nomination des mandataires du peuple et à la formation de la loi.


*ART. 23.


Pour que ces droits ne soient point illusoires et l’égalité chimérique, la société doit salarier les fonctionnaires publics, et faire en sorte que les citoyens qui vivent de leur travail, puissent assister aux assemblées publiques où la loi les appelle, sans compromettre leur existence ni celle de leur famille.


ART. 24.


Tout citoyen doit obéir religieusement aux magistrats et aux agents du gouvernement, lorsqu’ils sont les organes ou les exécuteurs de la loi.


ART. 25.


Mais tout acte contre la liberté, contre la sûreté ou contre la propriété d’un homme, exercé par qui que ce soit, même au nom de la loi, hors des cas déterminés par elle et des formes qu’elle prescrit, est arbitraire et nul ; le respect même de la loi défend de s’y soumettre ; et si on veut l’exécuter par la violence, il est permis de le repousser par la force.


ART. 26.


Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique appartient à tout individu. Ceux à qui elles sont adressées, doivent statuer sur les points qui en font l’objet ; mais ils ne peuvent jamais ni en interdire, ni en restreindre, ni en condamner l’exercice.


ART. 27.


La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme et du citoyen.


ART. 28.


Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il a oppression contre chaque membre du corps social, lorsque le corps social est opprimé.


ART. 29.


Lorsque le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.


ART. 30.


Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il rentre dans le droit naturel de défendre lui-même tous ses droits.


ART. 31.


Dans l’un et l’autre cas, assujettir à des formes légales la résistance à l’oppression, est le dernier raffinement de la tyrannie.


ART. 32.


Les fonctions publiques ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs publics.


ART. 33.


Les délits des mandataires du peuple doivent être sévèrement et facilement punis. Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens.


*Art. 34.


Le peuple a le droit de connaître toutes les opérations de ses mandataires ; ils doivent lui rendre un compte fidèle de leur gestion, et subir son jugement avec respect.


*ART. 35.


Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir comme les citoyens du même état.


*ART. 36.


Celui qui opprime une seule nation se déclare l’ennemi de toutes.


*ART. 37.

Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme, doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et comme des brigands rebelles.


*ART. 38.


Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu’ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre qui est le genre humain, et contre le législateur de l’univers qui est la nature.


Unité et Indivisibilité de la République.JPG



« Mais, chose qui pèsera d’une honte éternelle sur la
mémoire des législateurs montagnards de 1793, aucun
des cinq articles de Robespierre qui avaient proclamé
la solidarité internationale des peuples de la terre n’a
été jugé digne de figurer dans leur Déclaration des
droits de l’homme. »


                                                                            Gérard Walter
                                                                                                        Robespierre




*



Quant à nous, jacobins, nous ne saurions poster en ce début d’année sans rappeler deux anniversaires chers à notre mémoire :



Augustin Robespierre.jpgCe 21 janvier 2011 sera, en effet, le 248e anniversaire de naissance d’Augustin Bon Joseph ROBESPIERRE, frère cadet du précédent. On sait que, la révolution venue, il le seconda de toutes ses forces, pour finir par le suivre à Paris, jouer dans les événements qui se succédèrent pendant cinq ans un rôle non négligeable et finir par l’accompagner dans la mort.

Ainsi qu’il l’écrivait, d’Arras, à son aîné, dès juin 1790 :


« Je ne puis te dissimuler mes craintes, cher frère, tu scelleras de ton sang la cause du peuple, peut-être même que ce peuple sera assez malheureux pour te frapper, mais je jure de venger ta mort et de la mériter comme toi. Tu seras surpris d’apprendre jusqu’où se porte la scélératesse de tes ennemis. Ils ont été chez les personnes que je voyais, leur dire qu’elles se déshonoraient me recevant chez elles. »


(Cité par Gérard Walter, op cit, T. 1, p. 102)

 

*



Le 21 janvier 1793 ne naissait pas mais mourait Michel Lepeletier, marquis de Saint-Fargeau.

lepelletier-de-saint-fargeau1.jpgNé le 29 mai 1760, à Paris, d’une illustre famille de parlementaires, il fut élu représentant de la noblesse aux États-Généraux de 1789 et devint dès lors le chef de ceux qui n’avaient pas émigré. Président de l’Assemblée Nationale Constituante, il fut réélu, en 1792, député de l’Yonne à la Convention.

Il vota, le 20 janvier, la mort du roi, et tout son groupe avec lui. Le soir même, il était assassiné dans un restaurant du Palais-Royal, par un commando dont l’histoire respectueuse n’a retenu que le nom du garde du corps Pâris. Le 21 au matin, alors que Louis XVI allait monter à l’échafaud, Lepeletier mourait de ses blessures.

Maximilien Robespierre a dit de lui (Convention, 21 janvier 1793) :

« Lepelletier fut noble, Lepelletier occupait une place dans un de ces corps si puissants sous le despotisme;  Lepelletioer fut riche, et depuis la révolution il fut constamment l’ami du peuple, le soutien de la liberté, et l’un des plus ardents fondateurs de la république. Sous ces trois rapports, Lepelletier fut un prodige. »

Il avait, peu avant sa mort, rédigé, à la demande de la Convention, un Plan d’Éducation Nationale d’un rare progressisme, que le même Robespierre réussit à faire voter quelques mois plus tard, mais qui passa à la trappe, bien entendu, lorsqu’il fut lui-même assassiné. Je souhaite, depuis longtemps, offrir ici ce texte qui met à honte tout ce que l’Éducation Nationale est de nos jours devenue (je ne parle pas de l’École Normale Supérieure de cette semaine, mais en général). Le citoyen Darthé-Payan vient de me coiffer au poteau, à l’occasion, justement, de cet anniversaire, en en publiant des extraits sur son blog. On les trouvera ici http://darthe-payan-lejacobin.over-blog.com/ .

Michel Lepeletier et son frère Félix, comme avant eux les frères du Bellay, sont une de ces anomalies dont la France a bénéficié occasionnellement dans son histoire : des nobles, à la fois puissants et riches, à qui le bien-être du peuple n’a pas été indifférent.

Cela dit, il y a des gens qui n’ont pas de chance avec leur descendance : le pauvre Lepeletier en est l’illustration éclatante. Ne disons rien de sa fille Suzanne, qui, mariée à un de ses cousins de Mortefontaine, monarchiste ultra, fit racheter le tableau de David représentant son père mort, pour le détruire. Aujourd’hui même, Lepeletier a pour descendant direct le pâle d’Ormesson, lequel se vante sans vergogne d’avoir mis le portrait de l’aïeul dans ses chiottes. Il ferait mieux d’y mettre ses propres oeuvres, utilement découpées.

 

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Étude de Jean-Louis David

pour le tableau disparu

 

 

*

 

II.




William BLUM

 

william blum.jpg

 

Dans un précédent post, j’ai dit qu’il n’y avait au monde que Fidel Castro qui eût, autant que Robespierre, « éduqué son peuple en politique ». (1) C’était vrai pour les chefs d’état. Mais il est vrai aussi qu’un simple citoyen a fait – et fait encore – de même, sans remplir aucune fonction officielle ni détenir aucun pouvoir. Ce simple citoyen, c’est William Blum.

Né en 1933, de parents juifs allemands émigrés pour fuir le nazisme, William Blum est américain. D’abord fonctionnaire au Département d’État (équivalent de nos ministères des Affaires Étrangères), ce qu’il y a vu et entendu pendant la guerre du Vietnam l’a poussé à démissionner, à se faire historien et à travailler comme conférencier et journaliste free-lance pour gagner sa vie, tant aux États-Unis, qu’en Europe et en Amérique Latine, sans jamais cesser de dénoncer la « politique étrangère » de l’empire.

Entre autres choses...

En 1967, Blum a fondé, avec d’autres activistes, le Washington Free Press, qui fut le premier journal « alternatif » de la capitale U.S.

De 1972 à 1973 il a travaillé comme journaliste au Chili, où il a passionnément suivi l'expérience socialiste du gouvernement Allende.

Au milieu des années 1970, à Londres, il a rejoint l'ex-agent de la CIA Philip Agee et ses associés, qui travaillaient à leur projet de mettre au jour les méfaits de la célèbre agence. (Le livre d’Agee qui sortira de ces travaux s’appellera Inside the Company : CIA Diary. En français, Journal d’un agent secret : Dix ans dans la CIA, Seuil, 1976.)

Un beau jour de 2006, Ben Laden (ou sa marionnette, donc la CIA, s’il était, comme on le pense, déjà mort) conseilla aux Américains de lire le livre de William Blum Rogue State: A Guide to the World's Only Superpower (en français : L’État voyou). Avant « l'intervention de Ben Laden », ou la tentative de discréditer son auteur en le faisant louer par l’ennemi public N°1, le livre était classé 209.000e sur la liste des ventes d'Amazon. Le dimanche suivant, il était en 12e position. Justice poétique et peut-être version postmoderne de L’arroseur arrosé.

Je l’ai dit, William Blum gagne sa vie - car dans son  pays béni il faut la gagner jusqu’au bout - en écrivant et en faisant des conférences dans les universités qui veulent bien l’inviter. Sa notoriété subite lui a valu, après «les louanges de Ben Laden», de se retrouver sur une liste noire, au chômage forcé pendant plus d’un an.

Il est l’auteur de plusieurs livres, qui sont essentiels pour connaître l’histoire vraie du XXe (et maintenant du XXIe) siècle. Deux surtout : Rogue State (L’État voyou) et Killing Hope (Les guerres scélérates).

On le trouve dans deux endroits sur le web.

Ici :  http://www.thirdworldtraveler.com/Blum/William_Blum.html et  ici  : http://killinghope.org/,

Il y publie mensuellement son « Rapport anti-empire » que Le Grand Soir a pris l’excellente habitude de mettre en ligne en français sur son site http://www.legrandsoir.info/

N.B. Comme celle d’Israël Shamir, la biographie de William Blum sur Wikipedia fleure bon la hasbara sioniste (on en repère très vite le ton). Cela finit par devenir une sorte de « légion-d’honneur-sans-Bonaparte » ou de « prix-pas-Nobel-de-la-Paix » qu’il n’est pas donné à tout le monde de mériter.

___________________    

(1)  John Cowper POWYS : « Rabelais voulait que son peuple fût éduqué en politique ». Rabelais, La Thalamège, 1990.

 

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Rapport Anti-empire

1er Janvier 2011
par William BLUM
www.killinghope.org



Wikileaks, les Etats-Unis, la Suède et l’île du Diable


16 décembre... Je suis debout dans la neige devant la Maison Blanche... En compagnie de Vétérans Pour la Paix...  Moi, je ne suis qu’un vétéran des manifs devant la Maison Blanche ; la première en février 1965 où je distribuais des tracts contre la guerre au Vietnam. Je travaillais à l’époque au Département d’Etat et ma plus grosse crainte était qu’un membre de cette noble institution passe par là et me reconnaisse.

Cinq ans plus tard, je protestais toujours contre la guerre au Vietnam, mais je ne travaillais plus pour le Département d’Etat. Puis il y a eu le Cambodge. Et le Laos. Peu après, le Nicaragua et le Salvador. Puis le Panama est devenu la nouvelle menace contre les Etats-Unis, contre la liberté et la démocratie et tout ce que nous chérissons et il fallait donc bombarder ce pays sans pitié. Ensuite il y a eu la première guerre contre le peuple irakien, et les 78 jours de bombardements consécutifs contre la Yougoslavie. Puis ce fut au tour de l’Afghanistan de connaître les pluies d’uranium appauvri, de napalm, de bombes au phosphore et autres armes diaboliques et poussières chimiques ; puis l’Irak de nouveau. Et d’autres aussi que je n’ai pas mentionnés. Je pense détenir le record du nombre de manifestations devant la Maison Blanche.

Pendant tout ce temps, le bon peuple travailleur de l’Amérique pensait que leur pays oeuvrait pour le bien. Certains pensent encore que nous n’avons jamais déclenché de guerre, et certainement rien qui puisse être qualifié de « guerre d’agression ».

Au cours de cette même journée enneigée de décembre, Julian Assange de Wikileaks était libéré de prison à Londres et déclarait aux journalistes qu’il était plus préoccupé par une extradition vers les Etats-Unis que vers la Suède, où il est accusé de crimes «sexuels». (1)


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C’est une crainte souvent exprimée par différents politiciens et trafiquants de drogue de différents pays ces dernières années. Les Etats-Unis sont devenus la nouvelle Ile du Diable de l’occident. A partir du milieu du 19eme siècle et jusqu’au milieu du 20ème siécle, les prisonniers politiques étaient expédiés sur un bout de territoire français situé au large des côtes sud-américaines. Un des résidents actuels de cette version moderne de l’Ile du Diable s’appelle Bradley Manning, l’ancien analyste du renseignement US soupçonné d’avoir livré les câbles diplomatiques à Wikileaks. Manning est en détention depuis sept mois, d’abord au Koweit puis dans une base militaire en Virginie. Il risque une peine de prison à perpétuité s’il est jugé coupable... de quelque chose. Sans procès, sans jugement, on ne lui autorise qu’un minimum de contacts avec l’extérieur, ou avec les gens, ou la lumière du jour, ou les informations ; parmi les choses qui lui sont interdites on trouve un oreiller, des draps, de l’exercice physique ; son sommeil est limité et fréquemment interrompu. Lire l’article de Glenn Greenwald sur le traitement infligé à Manning et qui équivaut à de la torture. (2)

Un ami du jeune soldat dit que beaucoup de gens sont réticents à s’exprimer sur la détérioration physique et mentale de Manning à cause du harcèlement du gouvernement, sous forme de surveillance, de confiscations d’ordinateurs sans mandat et même de tentatives de corruption. « Tout ceci a eu un tel effet d’intimidation que beaucoup n’osent pas parler en son nom. » (3) Un développeur du logiciel utilisé par Wikileaks a été détenu pendant plusieurs heures l’été dernier par des agents fédéraux à l’aéroport de Newark, New Jersey, qui l’ont interrogé sur ses liens avec Wikileaks et Assange et aussi sur ses opinions sur les guerres en Afghanistan et en Irak. (4)

Il ne s’agit là que d’un incident mineur mais qui s’intègre dans l’instauration d’un état policier qui se poursuit depuis prés d’un siècle, de la Menace Communiste des années 20 au McCarthysme des années 50 à la répression contre les manifestants pour l’Amérique centrale des années 80... renforcée par la Guerre Contre la Drogue... et désormais accélérée par la Guerre Contre le Terrorisme. Ce n’est pas le pire état policier de l’histoire, ni même le pire état policier contemporain, mais c’est quand même un état policier, et certainement l’un des plus efficaces de tous les temps. Une étude récente du Washington Post a révélé l’existence de 4.058 organismes « antiterroristes » différents à travers le pays, chacun avec ses propres responsabilités et sa propre juridiction. (5) La police américaine, composée d’un large éventail de services, obtient généralement ce et qui elle veut. Si les Etats-Unis réussissent à mettre la main sur Assange, sous n’importe quel prétexte juridique, vous pouvez trembler pour lui car cela pourrait bien signifier la fin définitive de sa liberté ; Ni les faits qu’on lui reproche ni ses actions supposées ou réelles ni même les textes des lois américaines n’auront plus la moindre importance car il n’y a point de furie plus grande que celle d’un Empire contrarié.

Johns Burns, correspondant en chef à l’international du New York Times, après avoir interviewé Assange, a déclaré : « Il est profondément convaincu que les Etats-Unis représentent une force de mal dans le monde, qu’ils détruisent la démocratie. » (6) Est-ce que quelqu’un qui pense ainsi mérite de faire connaissance avec les droits de l’homme tels qu’on les conçoit sur l’Ile du Diable ?

Les documents de Wikileaks ne révéleront peut-être rien qui puisse bouleverser le monde, mais jour après jour ils participent à la lente mais constante érosion de la foi des gens en la pureté des intentions du gouvernement des Etats-Unis, étape indispensable pour surmonter toute une vie d’endoctrinement. Dans le passé, beaucoup plus de gens se seraient plantés devant la Maison Blanche s’ils avaient eu accès à la pléthore d’informations qu’on peut trouver aujourd’hui ; ce qui ne signifie pas pour autant que nous aurions pu empêcher une seule guerre car cela dépend aussi du degré de démocratie qui règne aux Etats-Unis.

Une autre conséquence de la publication de ces documents pourrait être la démystification de la réputation largement répandue de la Suède, ou du gouvernement suédois, qui serait pacifique, progressiste, neutre et indépendante. Le comportement de Stockholm à cette occasion, comme à d’autres, n’a rien à envier à celui de Londres dans le rôle de caniche des Etats-Unis, lorsqu’ils se sont alignés sur l’accusation contre Assange qui avait fréquenté des cubains anti-castristes de droite qui étaient eux-mêmes évidemment soutenus par le gouvernement des Etats-Unis. C’est cette même Suède qui a collaboré récemment avec la CIA dans les opérations d’enlèvements secrets vers des centres de torture et qui maintient 500 soldats en Afghanistan. Comparé au nombre d’habitants, la Suède qui est le premier exportateur d’armes au monde et elle participe depuis des années aux manoeuvres militaires de l’OTAN/US, dont certaines sont parfois effectuées sur son propre territoire. La gauche ferait bien de se chercher une autre nation-modèle. Cuba, peut-être ?

Et puis il y a aussi ce vieux stéréotype chez les Américains selon lequel les Suédois ont une attitude sophistiquée et tolérante à l’égard du sexe, une réputation provoquée, ou renforcée, par un film suédois de 1967 et qui avait été interdit pendant un certain temps aux Etats-Unis. Que constatons-nous aujourd’hui ? Des Suédois qui lancent Interpol aux trousses d’un homme qui aurait apparemment contrarié deux femmes, peut-être parce qu’il avait couché avec les deux dans la même semaine.

Et pendant qu’ils y sont, les progressistes américains feraient bien aussi d’ouvrir les yeux sur la BBC, qu’ils perçoivent comme un média progressiste. Les Américains se font toujours embobiner par un accent britannique. Le présentateur de l’émission BBC Today, John Humphry, a demandé à Assange : « Etes-vous un prédateur sexuel ? » Assange a dit que la question était « ridicule », et il a ajouté « bien-sûr que non ». Humphry lui a ensuite demandé avec combien de femmes il avait couché. (7) Même Fox News ne se serait pas rabaissé à un tel niveau. J’ai regretté qu’Assange n’ait pas grandi comme moi dans les rues de Brooklyn. Il aurait su alors exactement quoi répondre à une telle question : « En comptant votre mère ? »

Un autre groupe qui devrait en profiter pour tirer des leçons de tout ça est celui des conspirationnistes acharnés. Plusieurs m’ont déjà écrit sur un ton narquois pour m’informer de ma naïveté pour n’avoir pas encore compris qu’Israël était en réalité derrière les fuites de Wikileaks. C’est pour cela, me disent-ils, qu'aucun document ne mentionne Israël. J’ai dû leur apprendre que j’avais déjà vu quelques documents qui n’étaient pas flatteurs pour Israël. Depuis, j’en ai vu d’autres, et Assange, lors d’une interview par Al Jazeera le 23 décembre, a déclaré qu’un petit nombre seulement de documents relatifs à Israël avaient été publiés jusqu’à présent parce que les médias occidentaux qui avaient les droits de publication exclusifs sur ces document secrets étaient réticents à publier des informations sensibles sur Israël. (Imaginez le tir de barrage qu’aurait subi Der Spiegel en Allemagne). « Il y a 3.700 documents concernant Israël dont 2.700 proviennent d’Israël même » a dit Assange. « Au cours des six prochains mois, nous avons l’intention d’en publier d’autres. » (8)

Évidemment, plusieurs autres personnes m’ont aussi informé que tout ça n’était en réalité qu’un coup monté par la CIA.


Le Droit au Secret


Nous sommes nombreux à en avoir assez des partisans d’Israël qui qualifient «d’antisémite» toute critique formulée contre la politique israélienne, ce qui n’est pratiquement jamais le cas. Examinons la définition donnée par le dictionnaire Webster : «Antisémite. Quelqu’un qui exerce une discrimination, manifeste une hostilité ou affiche des préjugés à l’encontre des Juifs » Remarquez qu’il n’est pas fait mention de l’état d’Israël.

Voici à quoi ressemble un véritable antisémite. Ecoutons l’ancien président (des États-Unis) Richard Nixon : « les Juifs sont agressifs, rudes et odieux... la plupart de nos amis Juifs... ont au fond un complexe d’infériorité qu’ils doivent compenser. » Ceci est extrait de l’enregistrement d’une conversation à la Maison Blanche, le 13 février 1973, publié récemment. (9) Ces enregistrements, et il y en a beaucoup, représentent le Wikileaks de l’époque.

Pourtant, comme l’a souligné un éminent conservateur, Michael Medved, après la publication des remarques de Nixon : « Ironiquement, aucun Américain n’a fait plus pour le peuple Juif au moment décisif : après l’attaque surprise Egypto-syrienne en 1973 qui a détruit un tiers de l’aviation israélienne et tué l’équivalent Américain de 200.000 Israéliens, Nixon a ignoré le Pentagone et ordonné le réapprovisionnement immédiat en matériel. Jusqu’à ce jour, les Israéliens sont encore reconnaissants pour ce geste décisif qui a permis à l’état Juif de changer le cours de la guerre. » (10) Alors, Richard Nixon était-il antisémite ? Et ses remarques doivent-elles rester secrètes ?

Dans une autre interview récente, on a demandé à Julian Assange s’il pensait « qu’un état avait le droit de garder des secrets ». Il a reconnu qu’il existe des circonstances où les institutions ont besoin de secret, « mais cela ne signifie pas que tous les autres doivent se plier à cette nécessité. Les médias ont un devoir envers le public, celui de publier l’information que le public doit connaître. » (11)

[rappel "informer n’est pas une liberté pour la presse, mais un devoir" - dixit Le Grand Soir - dont Assange est un fidèle lecteur. Nan, j’déconne - NDT]

J’ajouterai que le peuple Américain – plus que tout autre peuple – a besoin de savoir ce que manigance son gouvernement à travers le monde parce que son gouvernement se livre à plus d’agressions que tout autre gouvernement, qu’il est continuellement en train de bombarder et d’envoyer des hommes et des femmes pour tuer et se faire tuer. Les Américains ont besoin de savoir ce que leurs dirigeants psychopathes se disent réellement les uns aux autres au sujet de ce bain de sang. Toute bribe d’information pourrait servir comme arme pour empêcher une nouvelle guerre. Michael Moore a récemment écrit :

« Nous avons été entraînes dans une guerre contre l’Irak par un mensonge. Il y a eu des centaines de milliers de morts. Imaginez si ceux qui avaient planifié ce crime de guerre en 2002 avait eu affaire à Wikileaks. Ils n’auraient peut-être pas réussi leur coup. La seule raison pour laquelle ils pensaient s’en sortir était qu’ils étaient protégés par le secret. Cette protection leur a été arrachée, et j’espère qu’ils ne pourront plus jamais manoeuvrer en secret. »

Et n’oublions pas non plus, chers camarades, que nos glorieux dirigeants nous espionnent en permanence : aucune communication, par téléphone ou courrier électronique, n’est un secret pour eux ; rien dans nos comptes en banque ou dans nos chambres à coucher n’est hors de leur portée s’ils ont envie de savoir. Récemment, le FBI a effectué un raid dans des foyers du Midwest chez des militants de la solidarité avec la Palestine, la Colombie et d’autres. Les agents ont passé de nombreuses heures à passer au peigne fin chaque étagère, chaque tiroir, emportant des dizaines de cartons remplis d’objets personnels. Alors à quel genre de secret aurait droit le Département d’État ?


Se préparer à la vague de propagande qui s’annonce

 
Le 6 février marquera le centenaire de la naissance de Ronald Reagan, président des Etats-Unis de 1981 à 1989. Les conservateurs ont déjà lancé le show. Le jour de l’an, une banderole de 20 mètres sur 10 en l’honneur de Reagan flottait au milieu de la grande Parade à Pasadena, en Californie. Pour vous aider à gérer, et peut-être même à contrer, la désinformation et les omissions qui vont inonder les médias dans les prochains mois, voici quelques informations sur ce grand homme et ses splendides réussites, en commençant par la politique étrangère.

NICARAGUA

Pendant 8 longues années le peuple du Nicaragua fut soumis aux attaques de l’armée mercenaire de Ronald Reagan, la Contra. Ce fut une guerre en bonne et due forme déclenchée par Washington et qui visait à détruire les programmes sociaux et économiques progressistes du gouvernement sandiniste – en incendiant des écoles et des cliniques, en minant les ports, en bombardant et mitraillant, en violant et en torturant... Les Contras étaient ces charmants gentlemen que Reagan appelait « les combattants de la liberté » et « l’équivalent moral de nos pères fondateurs ».

EL SALVADOR

Les dissidents salvadoriens ont tenté d’agir au sein du système. Mais avec le soutien des Etats-Unis, le gouvernement a rendu toute activité impossible, en recourant constamment aux fraudes électorales et au meurtre de centaines de manifestants et grévistes. Lorsque les dissidents ont pris les armes, l’administration Carter, et ensuite et surtout l’administration Reagan, ont réagi en fournissant une aide financière et militaire illimitée au gouvernement et ses escadrons de la mort et de torture, ces derniers bénéficiant eux-mêmes de l’aide de la CIA et ses manuels sur la torture. Le personnel militaire et de la CIA participaient activement. Le résultat fut 75.000 civils morts ; toute velléité de changement écrasé dans l’oeuf, une poignée de riches qui possédaient toujours le pays et les pauvres toujours aussi pauvres, et les escadrons de la mort qui menaçaient toute dissidence. Il n’y aura aucun changement au Salvador tant que Ronnie et Nancy occuperont la Maison Blanche.

GUATEMALA

En 1954, un coup d’état organisé par la CIA renversa le gouvernement démocratiquement élu de Jacobo Arbenz, déclenchant 40 ans de règne des escadrons de la mort, de torture, de disparitions, d’exécutions massives, et une cruauté inimaginable, pour un total de 200.000 victimes – sans aucun doute un des chapitres les plus inhumaines du 20ème siècle. Pendant 8 de ces 40 ans, l’administration Reagan a joué un rôle majeur.

Le pire des dictateurs militaires était peut-être le général Efrain Rios Montt, qui a mené pratiquement un holocauste contre les Indiens et les paysans, ce qui lui a valu une condamnation internationale. En décembre 1982, Reagan a rendu visite au dictateur Guatémaltèque. Lors d’une conférence de presse des deux hommes, Rios Montt a été interrogé sur sa politique de terre brûlée. Il a répondu « Nous n’avons pas de politique de terre brûlée. Nous avons une politique de communistes brûlés.  » Après la réunion, en réaction aux accusations d’atteintes massives aux droits de l’homme, Reagan a déclaré que Rios Montt était « mal traité » par les médias.

 

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Efrain Rios Montt et Reagan

 

LA GRENADE

Reagan a envahi ce minuscule pays en octobre 1983, une invasion totalement illégale et immorale, drapée de mensonges (des étudiants américains en médecine étaient « en danger »). L’invasion a permis de placer au pouvoir des hommes plus compatibles avec la politique étrangère des Etats-Unis.

● AFGHANISTAN

Après que l’administration Carter a provoqué une invasion Soviétique, Reagan est arrivé au pouvoir pour soutenir à fond les intégristes islamiques dans leur guerre contre les Soviétiques et le gouvernement laïque qui faisait respecter les droits des femmes. Au final, les Etats-Unis et les intégristes ont « gagné » et les femmes et le reste de l’Afghanistan ont perdu. Plus d’un million de morts, trois millions d’estropiés, cinq millions de réfugiés ; soit environ la moitié de la population. Et de nombreux intégristes islamiques antiaméricains formés et armés par les Etats-Unis et prêts à exercer leur terreur sur le monde.

« Voir les courageux combattants de la liberté afghans affronter un arsenal moderne avec de simples armes de poing est une source d’inspiration pour tous ceux qui aiment la liberté » a déclaré Reagan. « Leur courage nous enseigne une grande leçon – il y a des causes ici-bas qui méritent d’être défendues. Je dis, au nom de tous les Américains, que nous admirons votre bravoure, votre dévouement à la liberté, et votre lutte incessante contre vos oppresseurs. » (12)

LA GUERRE FROIDE

En ce qui concerne le rôle présumé de Reagan dans la fin de la Guerre Froide... ce n’est qu’une pure fiction. Il l’a prolongée. Lisez l’histoire dans un de mes livres. (13)

Quelques autres exemples de l’immoralité remarquable de Ronald Wilson Reagan et du cynisme décomplexé de son administration. :

Reagan, dans son célèbre discours de 1964, « L’heure des Choix », qui l’a propulsé sur la scène politique nationale : « On nous a dit il y a quatre ans que 17 millions de personnes se couchaient le ventre vide. Eh bien, c’était probablement vrai. Il faisaient tous un régime. »


« Sape de la santé, de la réglementation sur la sécurité et l’environnement. Reagan décréta que de telles réglementations devaient être soumises à des analyses d’impact – des analyses favorables aux entreprises et à leurs résultats, menées par le bureau Office of Management and Budget. Résultat : d’innombrables réglementations positives rejetées ou revues sur les bases de conclusions pseudo-scientifiques selon lesquelles leur coût pour les sociétés privées serait supérieur aux bénéfices pour le public. »


« Lancement de l’ère des ajustements structurels. Ce fut sous l’influence de l’administration Reagan que le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale ont commencé à imposer partout le programme politique connu sous le nom d’ajustement structurel – composé de déréglementations, de privatisations, de priorité aux exportations, de coupes claires dans les dépenses sociales – qui a plongé un pays du tiers-monde après l’autre dans un désastre économique. Le chef du FMI à l’époque fut honnête sur ce qui allait se passer, déclarant en 1981 que, pour les pays à faible revenus, « l’ajustement sera particulièrement coûteux en termes humains». »


« Silence devant l’épidémie de SIDA. Reagan n’a mentionné le SIDA en public qu’en 1987, alors que le SIDA avait déjà tué 19.000 personnes aux Etats-Unis. » – Russell Mokhiber et Robert Weissman (14)


« L’élection de Reagan a changé la réalité politique. Son programme supprimait les aides sociales de l’état, et ses budgets imposaient une grande variété de coupes claires dans les programmes sociaux. Il était par ailleurs très stratégique dans sa démarche. Une de ses premières cibles fut l’assistance juridique. Ce service, qui fournissait une assistance juridique aux personnes à faibles revenus, était composé en majorité d’avocats progressistes qui s’en servaient pour mener des batailles juridiques victorieuses contre le gouvernement. Reagan a coupé le financement du programme. Il a aussi explicitement interdit à ce service de mener des actions collectives (Class Action Suits) contre le gouvernement – des actions qui avaient remporté de grandes victoires en faveur des familles les plus démunies.

 
« L’affaiblissement des syndicats était aussi une priorité pour l’administration Reagan. Les personnes nommées au National Labor Relations Board (agence indépendante fédérale créée en 1935 pour contrôler l’application du droit du travail - NDT) étaient plus favorables au patronat que ceux nommés par toutes les administrations précédentes, Démocrates ou Républicaines. Cela a permis au patronat d’ignorer le code du travail en toute impunité. Reagan a aussi fait entrer dans les moeurs le licenciement des grévistes lorsqu’il a licencié les contrôleurs aériens en 1981. De nombreuses grandes sociétés lui ont rapidement emboité le pas... Il en résulta une nette diminution du taux de syndicalisation, qui est passé de près de 20 pour cent dans le secteur privé en 1980 à un peu plus de 7 pour cent en 2006. » – Dean Baker (15)

Reaganomics : une politique fiscale basée sur l’idée que « les riches ne travaillent pas parce qu’ils n’ont pas assez d’argent tandis que les pauvres ne travaillent pas parce qu’ils en ont trop. »  -- John Kenneth Galbraith
 
« Selon les mantras de l’Amérique de l’ère Reagan, le système chinois actuel – à la fois capitaliste et autoritaire – ne pouvait pas exister. Le Capitalisme apportait la démocratie, répétaient ad nauseam les apologistes du libre-commerce, les conservateurs, les fonctionnaires du gouvernement et les compagnies américaines qui faisaient des affaires en Chine. Avec un nombre suffisant de Starbucks (chaîne de cafés – NdT) et de McDonalds, et un choix suffisamment large pour les consommateurs, la Chine allait sûrement devenir une démocratie. » – Harold Meyerson (16)


Tout au long du début et jusqu’au milieu des années 80, l’administration Reagan déclarait que les Russes répandaient des produits chimiques partout sur le Laos, le Cambodge et l’Afghanistan – la soi-disant « pluie jaune » - et avaient provoqué plus de 10.000 morts rien qu’en 1982, (dont, en Afghanistan, 3.042 morts attribués à 47 incidents distincts entre l’été de 1979 et l’été de 1981, pour vous dire si l’information était précise...). Le Président Reagan dénonça en personne l’Union Soviétique à plus de 15 reprises dans des documents et des discours. La « pluie jaune », en réalité, n’était que des déjections chargées de pollen produites par d’énormes essaims d’abeilles qui volaient en altitude. (17)

Les célèbres déclarations de Reagan, bis : l’affaire Contragate (un scandale de vente illégale d’armes à l’Iran pour permettre le financement de la guerre des Contras contre le gouvernement Nicaraguayen après que le Congrès US eut coupé le financement des Contras) peut se résumer ainsi :

- je n’étais pas au courant
- si j’étais au courant, je n’en savais pas assez
- si j’en savais assez, je l’ai su trop tard
- si je l’ai su à temps, ce n’était pas illégal
- si c’était illégal, la loi ne s’appliquait pas dans mon cas
- si la loi s’appliquait dans mon cas, je n’étais pas au courant

William Blum

http://killinghope.org/bblum6/aer89.html

Traduction VD pour le Grand Soir avec probablement les erreurs et coquilles habituelles



Notes

1. Sunday Telegraph (Australie), 19 Decembre 2010

2. Salon.com, 15 Decembre 2010, "The inhumane conditions of Bradley Manning’s detention". Voir aussi le compte-rendu d'une journée-type de Manning par son avocat ; et Washington Post, 16 Decembre 2010

3. The Guardian (Londres), 17 Decembre 2010

4. New York Times, 19 Decembre 2010

5. Washington Post, 20 Decembre 2010

6. Diane Rehm show, National Public Radio, 9 Decembre 2010

7. The Guardian (Londres), 21 Decembre 2010

8. Information Clearing House, 23 Decembre 2010, « WikiLeaks to Release Israel Documents in Six Months »

9. Washington Post, 12 Decembre 2010

10. Du Medved’s radio show, 14 Decembre 2010 ; "Nixon : The Anti-Semitic Savior of Israel"

11. Al Jazeera, 22 Decembre 2010, Frost Over the World : Julian Assange interview.

12. Le 21 mars 1983, à la Maison Blanche.

13. Killing Hope : US Military and CIA Interventions Since World War II, p.17-18. (en français : Les guerres scélérates).Voir aussi, pour les cinq pays mentionnés ci-dessus, les chapitres qui leur sont consacrés dans ce livre.

14. Juin 2004 ; Mokhiber est le rédacteur en chef de Corporate Crime Reporter ; Weissman, le rédacteur en chef du Multinational Monitor, tous deux à Washington, D.C.

15. Avril 2007 ; Baker est Co-Administrateur du Center for Economic and Policy Research, Washington, DC.

16. Chroniqueur au Washington Post, 3 juin 2009

17. Killing Hope, op cit, p.349

URL de cet article 12367
http://www.legrandsoir.info/Wikileaks-les-Etats-Unis-la-Suede-et-l-ile-du-Diable.html

 

*

 


III.


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Discours de Patrice LUMUMBA,
Premier ministre et ministre de la défense nationale
de la République du Congo,
Prononcé à la cérémonie de l’Indépendance à Léopoldville le 30 juin 1960.


« Congolais et Congolaises, Combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux, Je vous salue au nom du gouvernement congolais, A vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos coeurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté. Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise (applaudissements), une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force.

Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait "tu", non certes comme à un ami, mais parce que le "vous" honorable était réservé aux seuls blancs ? Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort.

Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir : accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même. Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les noirs, qu’un noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens ; qu’un noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du blanc dans sa cabine de luxe.

Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation (applaudissements).

Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert. Mais tout cela aussi, nous que le vote de vos représentants élus a agréés pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre coeur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut, tout cela est désormais fini. La République du Congo a été proclamée et notre pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes soeurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail (applaudissements).

Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique tout entière. Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir toutes les lois d’autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles. Nous allons mettre fin à l’oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens jouissent pleinement des libertés fondamentales prévues dans la déclaration des Droits de l’Homme (applaudissements). Nous allons supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donner à chacun la juste place que lui vaudra sa dignité humaine, son travail et son dévouement au pays. Nous allons faire régner non pas la paix des fusils et des baïonnettes, mais la paix des coeurs et des bonnes volontés (applaudissements).

Et pour tout cela, chers compatriotes, soyez sûrs que nous pourrons compter non seulement sur nos forces énormes et nos richesses immenses, mais sur l’assistance de nombreux pays étrangers dont nous accepterons la collaboration chaque fois qu’elle sera loyale et ne cherchera pas à nous imposer une politique quelle qu’elle soit (applaudissements). Dans ce domaine, la Belgique qui, comprenant enfin le sens de l’histoire, n’a pas essayé de s’opposer à notre indépendance, est prête à nous accorder son aide et son amitié, et un traité vient d’être signé dans ce sens entre nos deux pays égaux et indépendants. Cette coopération, j’en suis sûr, sera profitable aux deux pays.

De notre côté, tout en restant vigilants, nous saurons respecter les engagements librement consentis. Ainsi, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le Congo nouveau, notre chère République que mon gouvernement va créer, sera un pays riche, libre et prospère. Mais pour que nous arrivions sans retard à ce but, vous tous, législateurs et citoyens congolais, je vous demande de m’aider de toutes vos forces. Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger. Je demande à la minorité parlementaire d’aider mon gouvernement par une opposition constructive et de rester strictement dans les voies légales et démocratiques. Je vous demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise. Je vous demande enfin de respecter inconditionnellement la vie et les biens de vos concitoyens et des étrangers établis dans notre pays. Si la conduite de ces étrangers laisse à désirer, notre justice sera prompte à les expulser du territoire de la République ; si par contre leur conduite est bonne, il faut les laisser en paix, car eux aussi travaillent à la prospérité de notre pays. L’indépendance du Congo marque un pas décisif vers la libération de tout le continent africain (applaudissements).

Voilà, Sire, Excellences, Mesdames, Messieurs, mes chers compatriotes, mes frères de race, mes frères de lutte, ce que j’ai voulu vous dire au nom du gouvernement en ce jour magnifique de notre indépendance complète et souveraine (applaudissements). Notre gouvernement fort, national, populaire, sera le salut de ce pays. J’invite tous les citoyens congolais, hommes, femmes et enfants, à se mettre résolument au travail en vue de créer une économie nationale prospère qui consacrera notre indépendance économique.

Hommage aux combattants de la liberté nationale !
Vive l’indépendance de l’Unité africaine !
Vive le Congo indépendant et souverain ! (applaudissements prolongés). »

http://www.pressafrique.com/m53.html



*


Il ne s’est guère passé de temps, entre le moment où ce discours mémorable fut prononcé et le moment où il écrivit la lettre qui suit à son épouse Pauline  : moins de six mois. Il n’avait plus que quelques jours à vivre.



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Ma compagne chérie,

Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux – qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance – ne l’ont jamais voulu. Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance.

Que pourrais-je dire d’autre ?

Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur.

Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n’abandonneront la lutte que le jour où il n’y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays. A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres.

Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté.

Vive le Congo ! Vive l’Afrique !

Patrice


Publié sur http://saoti.over-blog.com





Patrice Emery LUMUMBA
Assassiné au Katanga le 17 janvier 1961

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Voir aussi :
L’assassinat de Lumumba, un crime bientôt jugé en Belgique ?
http://www.cadtm.org/L-assassinat-de-Lumumba-un-crime

En effet, la veuve et le fils aîné de Patrice Lumumba sont sur le point d’intenter une action au pénal contre treize personnes toujours en vie, qu’ils accusent d’avoir trempé dans ce crime, perpétré dans des conditions aussi obscures que celui qui coûta la vie à J. F. Kennedy. 

Le problème, dans l’assassinat de Lumumba comme dans celui de Kennedy, est que ceux qui avaient intérêt à leur mort étaient si nombreux qu’on a pour ainsi dire l’embarras du choix. La CIA y fut assurément pour quelque chose, de même que l’establishment belge. Fut-ce au service d’intérêts US plus puissants que les leurs ou pour leur propre compte que ces Belges trempèrent leurs mains dans le sang jusqu’aux clavicules ? Le roi Baudoin fut-il du nombre ? C’est ce que le procès qui vient, sous peine de n’être qu’une mascarade, devrait au moins tenter d’éclaircir.

En attendant, l’occultation de Lumumba est si complète et la censure si efficace, qu’il nous a été impossible de trouver, sur Internet, une seule photo où le Premier Ministre Congolais et le roi des Belges, y compris le 30 juin 1960, apparaissent ensemble.

Pour mieux comprendre ce qui est en train de se passer, il n’est pas sans intérêt de lire les deux interviews récentes que Ludo De Witte, sociologue flamand auteur d’un livre qui fit scandale dans les milieux concernés lors de sa parution en 1999 -  L’assassinat de Lumumba – vient d’accorder, la première à l’hebdomadaire belge Solidaire, la seconde à deux journalistes congolais.



*


Interview Ludo De Witte : « Le Roi a implicitement donné son feu vert à l’assassinat de Lumumba »

Solidaire a rencontré Ludo De Witte, spécialiste du Congo et également conseiller des avocats qui sont à la base de la plainte qui sera bientôt déposée contre une dizaine de personnalités belges pour leur implication dans la mort de Lumumba et de ses compagnons.

Isabelle Minnon

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette plainte ? Qui sera sur le banc des accusés ?

Ludo De Witte. Cette plainte sera déposée à la demande de la famille de Lumumba qui a constaté que d’une part la vérité n’était pas sortie intégralement de la commission d’enquête parlementaire belge en 200-2001 et d’autre part que les décisions prises à l’issue de cette commission n’ont pas été honorées par notre gouvernement. Il n’y a pas eu de réparation et par conséquent, il n’y a pas eu de justice rendue. Étant le conseiller technique du cabinet d’avocats, je fournis des informations sur le plan historique. Je ne suis pas autorisé à vous dire qui sera sur le banc des accusés.

Cette plainte se fonde sur la loi de compétence universelle de 1993 relative à la répression des crimes de droit international humanitaire qui permet aux juges belges de poursuivre et de juger en Belgique des personnes coupables de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité. Ces crimes étant imprescriptibles. En Belgique, cette loi a été utilisée contre des Africains impliqués dans le génocide rwandais. Ce serait une bonne chose qu’elle soit utilisée contre des Belges impliqués dans des crimes monstrueux contre des Africains comme celui de l’assassinat de Lumumba et de ses compagnons.

Étienne Davignon est probablement un des hommes les plus puissants dans l’establishment de la Belgique. Ancien président de la Société Générale de Belgique, membre du conseil d’administration de Suez, vice-président de Suez-Tractebel, actif dans des conseils d’administration de nombreuses entreprises, il était à l’époque l’attaché de cabinet du ministère des Affaires étrangères. Est-il sur la liste?

Ludo De Witte. En regardant l’affaire d’un point de vue historique, il est certain que le rôle de Monsieur Davignon devra être examiné par la justice belge. Il a joué un rôle très important au début de l’année 1960. Lors de la table ronde qui s’est tenue à Bruxelles, Étienne Davignon était le représentant du ministre des Affaires étrangères. Dès l’indépendance, il a été envoyé au Congo notamment pour organiser l’opposition contre Lumumba. Travaillant dans l’entourage du président Kasavubu, du ministre congolais des Affaires étrangères Justin Bomboko, il les a convaincus d’organiser un coup d’État et de renverser le gouvernement de Lumumba.

Pendant le transfert de Lumumba au Katanga, Étienne Davignon se trouvait à Bruxelles au cabinet des Affaires étrangères. Depuis le ministère des Affaires étrangères, un télex a été envoyé vers le Katanga. Ce télex mentionnait que Lumumba allait être transféré vers le Bakwanga, région de Kalonji, dont on savait qu’il voulait la mort de Lumumba. Bien que, finalement, Lumumba n’a pas été transféré au Bakwanga, mais au Katanga, ce télex pouvait être un message implicite pour les Belges au Katanga que l’intégrité physique de Lumumba n’avait aucune valeur pour les Affaires étrangères. Ce télex a certainement joué un rôle dans le fait que les Belges se trouvant au Katanga ne sont pas intervenus pour empêcher l’élimination de Lumumba.

D’autres personnalités belges sont impliquées, notamment des gens de la sûreté belge, comme André Lahaye et des militaires, dont Louis Marlière. Toutes ces personnes travaillaient ensemble sous l’autorité du Consul belge à Brazzaville, Marcel Dupret.

Quel a été le rôle du roi Baudouin dans l’assassinat de Lumumba ?

Ludo De Witte. On a des preuves que le roi Baudouin était au courant des projets visant à éliminer physiquement Lumumba. Le Roi a reçu une lettre d’un colonel belge dans laquelle celui-ci explique qu’il y a un plan des antilumumbistes consistant à l’élimination physique de Lumumba. Le Roi n’a pas transmis cette lettre au gouvernement belge. Or, il y était obligé constitutionnellement. Au contraire, le roi Baudouin a écrit une lettre à l’attention de Tshombé dans laquelle il fait l’éloge de celui-ci et des antilumumbistes et d’autre part s’attaque aux lumumbistes. Avec cette lettre, le Roi a implicitement donné son feu vert à l’élimination de Lumumba. Cette lettre du roi Baudouin a été envoyée en octobre, Lumumba a été assassiné en janvier. Il n’y a pas de lien direct entre cette lettre et l’assassinat de Lumumba. Toutefois, les officiers supérieurs belges connaissaient l’existence de cette lettre et donc la position du roi Baudouin. Dès lors, il est légitime de se demander dans quelle mesure cette lettre a joué un rôle dans l’assassinat de Lumumba.

Votre livre « L’Assassinat de Lumumba » publié fin des années 90 a fait beaucoup de bruit. Pourquoi avoir écrit ce livre plus de 30 ans après la mort du premier ministre congolais ?

Ludo De Witte. C’est par curiosité intellectuelle que j’ai commencé mes recherches en 1993, après avoir lu le livre de Jules Chomé « L’ascension de Mobutu ». Chomé était un des rares Belges, à l’époque, qui avait pris position en faveur de Lumumba. Et, j’étais stupéfait que justice n’avait pas été rendue dans un des assassinats phares du 20e siècle. Dans son livre, l’auteur parle de la crise congolaise qui a surgi après l’indépendance du pays, mais j’ai constaté que, dans son récit, il subsistait de nombreuses zones d’ombres. J’ai alors décidé d’entamer des recherches notamment en fouillant dans les archives des Affaires étrangères et dans celles des Nations unies.

Comment le monde politique belge a-t-il réagi à la publication de votre livre ?

Ludo De Witte. En 1999, lors de la publication de mon livre, un nouveau gouvernement (libéral-socialiste) venait de se mettre en place en Belgique avec comme ministre des Affaires étrangères, Louis Michel. Ce nouveau gouvernement a été très embarrassé par la sortie de mon livre. Louis Michel venait de faire son entrée sur la scène politique étrangère belge en Afrique, particulièrement au Congo, en jouant le rôle de pacificateur dans la guerre qui sévissait au Congo. Après la sortie du livre, il devenait très difficile pour la Belgique de donner une image d’un pays qui pouvait contribuer à mettre un terme au conflit par des accords de paix, en mettant en avant les idées de démocratie et des droits de l’homme alors que ce même gouvernement refusait de parler des crimes qu’il avait commis au Congo, dont l’assassinat de Lumumba.

En plus de mon livre, les déclarations de Gérard Soete, gendarme belge, l’un des fossoyeurs de Lumumba qui a confirmé mon récit en se vantant auprès des journalistes d’avoir « gardé deux dents de Lumumba à son domicile comme trophée », ont créé une grande émotion en Belgique.

Alors, Louis Michel a estimé qu’il était nécessaire de répondre aux allégations. Il a proposé la création d’une commission d’enquête parlementaire belge sur l’assassinat de Lumumba. En fait, pour Louis Michel, cette commission avait pour but de neutraliser mon livre. Lors de cette commission, la responsabilité de personnalités belges fut clairement démontrée sans que celles-ci ne soient citées dans les conclusions de la commission. La commission a utilisé les termes de « responsabilité morale » afin de rester vague, probablement pour éviter des condamnations à des réparations financières.

À l’issue de la commission, le gouvernement belge a décidé d’instituer le fonds Lumumba prévoyant d’y incorporer 3 millions euros par an, somme destinée à financer des projets en République démocratique du Congo. Ce projet de fonds Lumumba n’a jamais été concrétisé jusqu’à ce jour. Le président Laurent Kabila fut assassiné et son fils, Joseph Kabila, devenu président, a dû faire face à une forte pression internationale et à une guerre d’agression venant du Rwanda et de l’Ouganda. La Belgique avait en face d’elle un gouvernement congolais avec un président affaibli. Entre les lignes, on a pu percevoir la joie des politiciens belges dans l’assassinat du président Laurent Kabila. Avec un gouvernement si fragile au Congo, probablement que Louis Michel n’a plus senti le besoin de réparer les crimes commis dans les années 60. À l’heure actuelle, il n’y a même pas une rue, un monument en Belgique en hommage à Lumumba.

J’ai entendu que vous prépariez la sortie d’un nouveau livre, pouvez-vous nous en dire plus ?

Ludo De Witte. C’est un livre qui constitue un complément à « L’Assassinat de Lumumba ». Il porte sur la rébellion qui a eu lieu au Congo durant les années 64-65.

Après le renversement de Lumumba, les sentiments nationalistes étaient toujours présents dans la population. C’est ce qui a entraîné des rébellions essentiellement paysannes au centre et à l’est du pays dirigées par Pierre Mulele, Soumialot et Gbenye.

Les Belges et les Américains sont intervenus avec des troupes aéroportées, dans ce qu’on a appelé l’opération « Ommegang » dirigée par une centaine d’officiers belges qui encadraient des soldats congolais. Il y avait aussi des mercenaires qui participaient à cette opération de reconquête. Cette opération a été un véritable bain de sang dans lequel près d’un million de Congolais ont été assassinés.

Avant cette opération, la population criait « uhuru, uhuru, uhuru » qui signifie liberté. Après cette opération sanglante, c’en était fini des cris de liberté par la population, un vrai cimetière politique et social venait de voir le jour... et c’est sur base de ce cimetière que Mobutu a pris le pouvoir par un nouveau coup d’État et y a installé une dictature qui a duré jusqu’en 1997.




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Procès de l’assassinat de P.E. Lumumba



Ludo De Witte réaffirme la pleine responsabilité des officiels belges dans l’assassinat de Patrice Lumumba

http://www.lepotentiel.com



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Le Potentiel s’est entretenu, une fois de plus, avec l’écrivain belge Ludo De Witte qui a publié aux Editions Karthala l’ouvrage L’assassinat de Lumumba. Ludo De Witte, un Flamand, qui a sillonné le monde. Il a eu accès aux archives. Pour le moment, de passage à Kinshasa, Le Potentiel et L’Avenir se sont intéressés à lui.





Qu’est-ce qui justifie la présence, en ce moment, de Ludo De Witte à Kinshasa ? (F. Mulumba)

Je suis en RDC essentiellement pour préparer un nouveau livre. Je suis en train de préparer le complément de l’ouvrage sur l’assassinat de Lumumba. Un livre sur l’ascension de Mobutu (1964-1965) et le rôle de l’Occident dans la mise en scène de Mobutu. Pour cela, je réalise des interviews ici au pays avec des acteurs politiques qui étaient actifs à l’époque. Je suis aussi en train de tisser des liens avec le monde académique pour réfléchir à l’établissement d’un centre de recherche et de documentation sur le nationalisme congolais et africain. Auquel j’aimerais bien participer en mettant des archives à la disposition des chercheurs congolais. J’ai eu des difficultés pour chercher l’endroit où Lumumba a été exécuté. Mais, finalement, j’ai retrouvé cet endroit. Il faudrait quand même une contre-expertise avec des conclusions à la disposition des autorités congolaises.

Quand avez-vous commencé à mener ces démarches ? Et pourquoi Lumumba vous intéresse-t-il tant ? En outre, aujourd’hui, vous voulez participer à l’éclosion du nationalisme congolais au moment où, au Congo, des politiciens pensent que le nationalisme est dépassé car nous sommes dans la mondialisation. Qu’en pensez-vous ? (J. Diana)

J’ai commencé les recherches il y a 16 ans. A ce moment-là, j’avais plus d’attachement, d’intérêt pour le Congo et l’Afrique. J’ai eu la curiosité de lire un livre sur les événements de l’époque écrit par Jules Tchombé, un avocat belge, qui défendait la cause lumumbiste. Dans cet ouvrage, il essayait d’expliquer ce qui s’était passé ici. Et, à mon grand étonnement, j’ai pu constater que cet assassinat de Lumumba – un assassinat le plus important du 20ème siècle – n’était pas élucidé. Il y avait des trous énormes dans l’explication. C’est ainsi que j’ai commencé à étudier l’affaire en rassemblant les archives, surtout celles du fond bibliothécaire privé. Notamment aux Nations unies à New York pour examiner l’affaire. Et, finalement, j’ai pu avoir accès aux archives des Affaires étrangères. Ce qui m’a amené à élucider l’affaire en réfutant le fait que l’assassinat de Lumumba est une affaire des Bantous. Donc, c’est une affaire des Occidentaux qui, en collaboration avec certains Congolais, ont pu renverser le gouvernement congolais et organiser l’assassinat du Premier ministre lui-même.

Quant au nationalisme, je ne pense pas qu’il soit incompatible avec une approche avec le monde extérieur. Je crois que le nationalisme conçu par Lumumba était une tentative de mobiliser la population, d’avoir une autre organisation d’un peuple, d’inculquer et de stimuler la fierté, le dynamisme, la confiance en soi dans ce peuple. Et sur base de tout ceci, prendre en mains son propre sort. C’est l’essentiel du nationalisme de Lumumba. Il s’agit de développer le pays pour en faire un Etat-Nation intégré. Il n’est pas question seulement de construire des routes, comme à l’époque coloniale, qui servaient à transporter les richesses du pays vers le marché mondial mais développer vraiment le pays, intégrer les différentes régions et développer une sorte d’économie nationale. Cela implique, à mon avis, une certaine forme de nationalisme pour relever cette économie nationale. Mais il est clair que c’est avec des échanges avec le monde extérieur qu’il faut développer ce nationalisme. Je ne crois pas qu’il y ait contradiction. Mais si on ne développe pas ce nationalisme, si on n’a pas ce rapport des forces à l’intérieur du pays, je crois qu’on est un peu à la merci du capitalisme international. Et cela au détriment du peuple congolais.

A vous entendre parler, c’est comme si vous êtes de gauche. Est-ce que je me trompe ? (F. Mulumba)

Non. J’ai une approche progressiste. Le choix de mes recherches, c’est toujours une tentative pour élucider certaines pages noires dans l’histoire, c’est essayer d’expliquer et de mettre à nu les forces dominantes qui, en général, restent cachées, pas juste derrière les rideaux. Elles réagissent lorsqu’elles sentent que leurs enjeux stratégiques sont réellement en danger. C’est alors qu’on voit ce qu’elles sont prêtes à faire pour défendre leurs intérêts.

Et je crois que la crise congolaise en 1960 est née dès la constitution du gouvernement Lumumba. La Belgique a, alors, cru que toutes les richesses qu’elle avait acquises dans la colonie étaient en danger. Elle s’est battue bec et ongles jusqu’à planifier l’assassinat de Lumumba, un Premier ministre légalement élu.

On l’impression qu’il y a un règlement des comptes entre Francophones et Flamands dans la mesure où les richesses du Congo ont beaucoup plus profité aux premiers qu’aux seconds. Qu’en pensez-vous ? (F. Mulumba)

Je crois que ce n’est pas juste. Moi-même, je n’ai aucune ambition de jouer un rôle dans une politique de nationalisme flamand. D’ailleurs, il n’est pas vrai que ce sont les Wallons qui étaient dans la colonie au détriment des Flamands. Mais c’est l’élite belge, la classe dominante belge (la Société générale et les autres consortiums) qui en a profité. L’œuvre coloniale n’était pas très populaire au sein de la population en Belgique. On avait une certaine méfiance envers ceux qui venaient exploiter les richesses du Congo. N’oubliez pas que, depuis 1960, le mouvement nationaliste prenait un essor et que le gouvernement belge était en train de se demander s’il devait intervenir militairement pour écraser ce mouvement. Un peu partout, en Belgique, il y avait des écris sur les murs tels que : « Pas un Franc, pas un soldat pour l’Union minière ». Et les syndicats belges avaient clairement dit qu’on ne pouvait pas envoyer des soldats belges intervenir au Congo.

On constate qu’après Lumumba, on a mis Laurent-Désiré Kabila pratiquement dans les mêmes conditions.

Pourquoi cette constance dans les médias belges par rapport à ce qui sort du nationalisme congolais, à ceux qui cherchent avant tout le développement du Congo ? (J. Diana)

Et on a l’impression que les Belges sont toujours à la base de malheurs du Congo. Vous avez dit dans votre ouvrage que ce sont les Belges qui sont à la base de l’assassinat de Lumumba. Lors de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, la déclaration la plus fracassante est venue de la Belgique avec Louis Michel qui, semble-t-il, a sablé le champagne. Ne peut-on pas dire que les malheurs qui arrivent au Congo proviennent notamment de l’élite belge ? (F. Mulumba)

Je ne sais pas si on a pris le champagne à l’annonce de l’assassinat de L.-D Kabila. Mais il est vrai qu’au moment où Laurent-Désiré Kabila a été assassiné, la commission d’enquête parlementaire belge sur l’assassinat de Lumumba était en cours. Donc, au même moment qu’on était en train, soi-disant, d’élucider cet assassinat, les politiciens belges accordaient aux médias des interviews dans lesquelles il était tout à fait clair qu’ils cachaient difficilement les raisons pour lesquelles Laurent-Désiré Kabila était assassiné.

Je ne crois que la Belgique soit une exception. Et que les Français ou les Américains soient meilleurs que la Belgique. Il faut se référer à ce qui s’est passé au Rwanda. Et le fait que la France a transféré les milices hutu qui ont commis le génocide au Rwanda et dans l’Est du Congo, où les Américains ont soutenu le Rwanda et au moment où on accepte l’agression contre le Congo, le problème n’est pas caractériel d’un peuple spécifique (les Français, les Américains ou les Belges). Mais il s’agit d’un système de domination qu’il faut qualifier d’impérialiste, c’est-à-dire qu’il est question de contrôler les richesses du pays. Et ça, c’est aussi vrai pour les Américains, les Français que pour les Belges. Je crois que dire que les richesses du Congo sont comme, pour utiliser l‘expression lancée par le ministre américains des affaires étrangères, « le pétrole est un produit trop stratégique pour le laisser entre les mains des Arabes ». Les classes dominantes de l’Occident croient que ce sont des produits stratégiques qu’on ne peut pas laisser entre les mains des Congolais, des Africains. Et quand il y a des dirigeants nationalistes qui veulent vraiment prendre en mains leur propre destin et mettre à la disposition des Congolais et des Africains leurs richesses. Alors, ils réagissent. Et c’est ce qu’ils veulent éviter. C’est vrai pour ce qui s’est passé en 1960 et pour ce qui se passe aujourd’hui.

Il s’agit donc d’un système impérialiste. Mais il y a une particularité belge dans ce sens que tout en reconnaissant que la Belgique est de beaucoup dans le frein au développement du Congo. Les plus grandes critiques sur la situation actuelle du Congo viennent de la Belgique, telles que le Congo vit un désastre, etc. Alors que la Belgique a participé à ce désastre … (J. Diana)

Vous faites référence, je suppose, à l’ancien ministre des Affaires étrangères, Karel De Gutcht. Je partage complètement votre point de vue. Karel De Gutcht est un homme très intelligent. Il ne peut pas être aussi stupide de croire qu’en insultant un chef d’Etat étranger qu’il va changer sa politique, qu’il va se mettre à genoux devant ce ministre d’un pays européen. Vous avez raison. Ce n’est d’ailleurs pas quelque chose qui est nouveau. Je me souviens que quand Laurent-Désiré Kabila est venu au pouvoir, il a, à un certain moment, voulu instaurer une sorte de contrôle d’Etat monétaire sur le change entre le Franc congolais et les devises étrangères. Il y a eu les mêmes réactions tant en Belgique que dans toute l’Europe. Donc, une attitude impérialiste un peu généralisée par laquelle on peut exercer des pressions sur le gouvernement congolais actuel pour qu’il tienne compte de desiderata de l’Occident.

Avez-vous eu l’accès facile aux archives de l’ONU lors de vos recherches sur l’assassinat de Lumumba ? (J. Diana)

Il faut savoir que, même pour les notes académiques, les fonctionnaires de l’ONU sont très réticents en ce qui concerne les archives relatives aux pages noires de l’histoire. Je vous donne une indication très concrète. Le colonel Van De Val, un des représentants du gouvernement belge de l’époque ici au Congo, avait publié ses mémoires en 1974. Dans lesquelles il avait déjà écrit que le gouvernement belge avait un plan d’assassinat de Lumumba. En 1974, il n’y avait aucun chercheur académicien belge ou occidental qui a exploré cette information et qui a travaillé dessus. Justement, parce qu’il y avait défense de toucher à cela. En Europe, l’académicien dépend de la bonne volonté des instances politiques pour le visa, le crédit et les subsides. On a préféré ne pas toucher à cette information-là. Mais, moi, j’étais le premier à le faire. Donc, il y a un manque de volonté de la part de l’etablisment académique de toucher à cette affaire parce qu’il a les mêmes visions, objectifs que la classe dominante belge.

J’ai eu accès à ces archives parce que je travaillais déjà pendant plusieurs années sur le dossier et j’ai pu rassembler de précieux documents. J’ai alors pu discerner tous les noms, lieux et informations codés contenus dans ces documents. Des diplomates m’ont donné l’occasion de consulter ces archives.

Dernièrement, on a parlé en Belgique de la commission parlementaire sur l’assassinat de Lumumba. Le professeur Omasombo, qui est Congolais, a fait partie de cette commission. Cela a-t-il été facile pour lui ? (F. Mulumba)

C’est vrai. Mais la commission Lumumba qui resterait, après le célèbre Moke dans la publication de mon livre et, surtout, par le fait que le commissaire de police belge qui avait détruit le corps de Lumumba a montré deux dents de Lumumba qu’il a gardées chez lui comme une sorte de trophée. Cela a provoqué un tollé. C’est ainsi que le gouvernement belge, compte tenu du fait qu’il voulait jouer un rôle en Afrique centrale où il y avait un gouvernement dirigé par Laurent-Désiré Kabila qui se déclarait nationaliste lumumbiste, a cru qu’on devait réagir à ces allégations. C’est pour cela qu’il a institué cette commission. Lorsqu’on a pris cette décision, j’ai pensé y inclure des historiens et des chercheurs congolais dans les travaux de la commission parce que, somme toute, c’est l’histoire du Congo. Finalement, on cherché et trouvé un compromis. On a donc inclus le professeur Omasombo dans la commission, mais comme expert. Il y avait également quatre experts belges qui avaient travaillé sur les archives. Le professeur Omasombo a pu faire l’expérience pour conclure dans quelle mesure l’esprit colonialiste régnait encore en Belgique. Et il s’est vraiment senti nègre dans la commission.

Vous avez écrit un livre qui a provoqué un tollé général. Et il y a eu cette enquête parlementaire belge. Et le jour de la vérité, la Belgique a pratiquement reconnu sa responsabilité dans cet assassinat. Que peut-on attendre de la suite ? (J. Diana)

On a reconnu une certaine responsabilité morale très vague. On n’a pas indiqué les responsabilités des individus dans cette affaire. C’était la tâche de la commission comme cela a été décrit dans la loi qui a instauré cette commission. Je crois que la raison est assez simple : étant entendu l’assassinat de Lumumba, la dictature aveuglante de Mobutu et l’installation des dictatures ont eu des effets désastreux sur tout le continent. On veut surtout éviter qu’il y ait des règlements de compte avec cette histoire de justice et débordement de certaines réparations.

C’est pour cela qu’on a tiré des conclusions extrêmement vagues. Les autres conclusions concrètes de la commission, notamment l’instauration d’un Fonds Lumumba par lequel on allait subventionner des initiatives pour stimuler la démocratie au Congo. Tout cela n’a pas été fait non plus. En fait, la commission est restée lettre morte. C’est pour réagir à cela que, justement, la famille Lumumba a décidé de déposer, en janvier 2011, des plaintes devant le Tribunal à Bruxelles contre des Belges impliqués dans l’assassinat de Lumumba et contre l’Etat belge.

Il n’y a pas que des Belges qui sont responsables. En lisant votre ouvrage, on se rend compte que les Américains ont décidé et les Belges ont exécuté. Aujourd’hui, on voudrait savoir exactement qui a tué Lumumba ? (F. Mulumba)

Fin de l’année 60, Lumumba était enfermé dans une cellule de Mobutu. Les Belges et les Américains ainsi que leurs collaborateurs au Congo comme les Mobutu et les autres ont cru que le problème était résolu. On a cru que Lumumba enfermé, la situation était contrôlée. Comme on connaissait mal la population congolaise, à partir de l’Est, il y a eu tentative de reconquête du pays par les partisans de Lumumba. Dans l’espace de deux semaines et demie, ces derniers ont pu conquérir 40% du territoire national. Et même dans le campement où Lumumba était enfermé, il y avait le début d’une mutinerie. Une des exigences des soldats était la libération de Lumumba. Alors, aussi à Washington qu’à Bruxelles, on a pris panique. Les Américains avaient retiré le tueur qu’ils avaient envoyé pour assassiner Lumumba. Comme l’a signalé le Département d’Etat à Washington, le gouvernement belge voulait absolument éviter que Lumumba soit libéré et reviendra sur la scène politique. Les gens qui avaient la capacité organisationnelle ont décidé de transférer Lumumba vers un sous-traitant qui pouvait faire le sale boulot : le Kasaï ou le Katanga. Il a été transféré au Katanga dans un avion belge. Ce sont des officiers belges qui l’ont pris en chasse depuis sa descente d’avion à Lubumbashi. C’est sous leur responsabilité qu’il a été torturé et, finalement, exécuté.

Pouvez-vous nous dire quelque chose sur ce procès qui débute en janvier 2011 ? (F. Mulumba)

Je ne peux pas vous le dire. En fait, on m’a demandé de conseiller le team d’avocats qui ont introduit la plainte. C’est à eux d’en parler. La seule chose que je peux dire, c’est qu’on va déposer plainte contre une dizaine de Belges sur base d’une loi qui a été traitée en Belgique par laquelle le droit humanitaire international est intégré dans la Cour pénale belge. Par cette loi, il est décidé que les infractions du droit international en temps de guerre n’ont pas de prescription. Même des événements qui se sont déroulés il y a 50 ans restent toujours punissables aujourd’hui. A l’époque, on a transféré un prisonnier politique Lumumba du Bas-Congo vers le Katanga qui était une infraction à cette loi. Il était assez clair que ces actes sont punissables selon la loi belge actuelle. Cette loi qui, jusque maintenant, n’est utilisée que contre des Africains. Sur base de cette loi, on a condamné et jugé quelques Rwandais impliqués dans le génocide de 1994.

On a l’impression que lorsqu’un Congolais essaie de relever la tête pour dire non aux impérialistes, il est assassiné. En tant que intellectuel de gauche, quels conseils pouvez-vous donner aux Congolais pour éviter que l’histoire ne se répète ? (F. Mulumba)

Pendant les dernières 50 années, le Congo a eu deux chances pour sortir de l’impasse et faire des pas en avant. C’était avec Lumumba et Laurent-Désiré Kabila, tous deux assassinés. Je crois que c’est très important de ne pas se décourager. La relation la plus fondamentale est qu’il faudrait entreprendre un programme et une action nationalistes. Mais, pour avancer dans cette direction, il faut construire un rapport des forces. Il ne faut pas seulement agir sur base d’un politicien – bien qu’il soit charismatique – mais il faut construire un rapport des forces avec les leaders de la société, mobiliser la population, élaborer une direction politique collectivisée où les dirigeants sont en quelque sorte remplaçables. Je crois que c’est important. Il faut construire progressivement ce rapport des forces, pas à pas et non sauter des ponts en brûlant les étapes.

Le gouvernement congolais voudrait que l’expérience chinoise serve au pays. Comment perçoit-on dans les milieux belges la présence des Chinois en RDC, alors que ceux-ci ne sont pas qu’au Congo ? Avec leur arrivée, on a commencé à dire que Joseph Kabila devient incontrôlable … (J. Diana)

En ce qui concerne les contrats chinois, la réaction en Occident est compréhensible. Du point de vue des Occidentaux, les Chinois sont un concurrent de plus pour les matières premières stratégiques. Ce n’est pas ce qui doit nous préoccuper. Au contraire, la préoccupation est de savoir dans quelle mesure ces contrats, non seulement avec les Chinois mais aussi avec des sociétés occidentales, sont à l’avantage du peuple congolais. J’ai, un peu partout en RDC, demandé aux Congolais ce qu’ils pensent de tous ces contrats, de leur contenu. Ils ne le savent pas. Je crois que c’est important qu’on connaisse le contenu de tous ces contrats pour voir si cela apporte quelque chose au peuple congolais à long terme. C’est bien qu’on construise des routes, des hôpitaux, etc. J’espère que, dans ces contrats, on a prévu aussi, par exemple, la construction d’une industrie nationale locale. Il ne suffit pas seulement de construire une infrastructure mais qu’on ait également ici un secteur secondaire où on va traiter les matières premières, comme début du développement d’une économie nationale. Je crois que c’est important à la longue pour le Congo.

Question d’actualité. Le Congo a connu l’agression ougando-rwando-burundaise soutenue par les multinationales anglo-saxonnes. Parlons de cette période où l’on veut couper le Kivu du Congo comme on le voulait pour le Katanga avec la sécession katangaise ? C’est comme si l’histoire se répète… ? (F. Mulumba)

Je n’ai vraiment pas étudié cette question. Mais je ne crois pas qu’on essaie de détacher le Kivu du pays pour déstabiliser le gouvernement actuel du Congo. Au contraire, maintenant, les Américains commencent doucement à réagir en exerçant des pressions sur le Rwanda pour limiter ses interventions et garder intactes les frontières du Congo. Je ne crois pas que le démembrement de l’Etat congolais soit dans l’agenda à Washington, Paris ou Bruxelles.

D’après certaines informations, il y avait un agenda sur la balkanisation du pays ? Mais cela semble voué à l’échec parce que la population a résisté. Il y a eu plus de 5 millions de morts. C’est ainsi que les Américains et les autres se sont ravisés… (F. Mulumba)

C’est bien possible que cette idée ait germé dans le chef de certains dirigeants. Je crois que l’un des aspects positifs de ces dernières 15 années, c’est le fait qu’il s’est forgé chez le peuple congolais le sens d’unité nationale, une certaine nationalité congolaise. C’est ainsi que la population a effectivement résisté à ces interventions étrangères. C’est un élément positif qui peut devenir justement un tremplin pour avancer cette perspective nationaliste pour lequel Lumumba s’est battu.

Avez-vous un message au peuple congolais ? (J. Diana)

Ce qui est important, c’est de développer une méfiance saine envers tous les pouvoirs occidentaux, y compris les Nations unies. Celles-ci qui se présentent comme une institution supra étatique qui est régie non par des intérêts d’Etats mesquins mais par des valeurs comme les droits de l’Homme, la paix, etc. C’est faux car c’est clairement démontré, en 1960-1961, que les Nations unies sont un rapport des forces. A l’intérieur de cet organisme, ce sont les plus forts, donc, les impérialismes les plus forts qui dominent et utilisent les Nations unies comme un instrument. Je pense que développer cette méfiance envers les pouvoirs occidentaux serait un objectif pour construire un rapport des forces avec eux. Je crois que c’est la plus importante tâche pour le peuple et les dirigeants qui veulent préserver les intérêts du peuple congolais.

Propos recueillis par Freddy MULUMBA et Joachim DIANA GIKUPA

URL de cet article 12520
http://www.legrandsoir.info/Il-y-a-cinquante-ans-ils-assassinaient-Lumumba.htm


N.B. Le français n’est pas la langue maternelle de Ludo De Witte. Il s'est probablement entretenu en flamand avec Solidaire, mais en français avec les journalistes congolais. Nous avons laissé ses réponses dans leur formulation parfois incorrecte, parce que la corriger nous aurait fait courir le risque de déformer sa pensée. Mieux valait rester, ici ou là, sur un doute que sur un interprétation erronée.

J’ai dit que je tenais à terminer ce post sur une note d’optimisme. Dans l’état actuel des choses, je ne vois que celle-ci :

 

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Mais, tout étant relatif et actualité brûlante obligeant, l’optimisme ne me paraît pas concerner l’avenir immédiat, en tout cas pas celui du Maghreb.

Je sais qu’il est en ébullition – qui ne le sait ? – et que la Tunisie est débarrassée de la personne d’un tyran usé et presque mort. Chic. Mais, prendrons-nous ici un soulèvement populaire pour une révolution ? Notre expérience et notre modeste connaissance de l’Histoire nous le déconseillent. Ah, si les trois pays du Maghreb se soulevaient ensemble... ah, si chacun des trois pouvait se vanter d’avoir une classe politique (éventuellement en exil)... ah, si ces trois classes politiques décidaient de n’en faire plus qu’une, d’exploiter de concert les richesses des trois pays, sans se préoccuper de frontières ni revendiquer quelque territoire que ce soit au détriment de l’un des trois... ah, s’ils partageaient en frères le produit de ces richesses... alors, oui, on pourrait parler de révolution, et peut-être est-ce même là, exactement, ce à quoi les trois peuples aspirent. De là à ce qu’ «on» les laisse faire...

Mais, peut-être, qui sait, est-ce une révolution qui commence par un soulèvement populaire. Dans ce cas, il en  faudra plusieurs, qui seront à chaque fois suivis d’un recul, comme ce fut le cas en France à la fin du XVIIIe siècle. Nous nous garderons bien d’oublier, pourtant, qu’à la fin du XVIIIe siècle et de la Révolution Française, c’est la bourgeoisie d‘affaires qui a fini par remporter la victoire sur le peuple et sur ses défenseurs, c’est-à-dire qui a retiré – mais en fut-elle consciente ? - les marrons du feu pour William Pitt, avant, pendant et après la parenthèse napoléonienne.

Nous souhaitons un tout autre sort aux Tunisiens, aux Algériens et aux Marocains, même si nous partageons peu ou prou l’analyse de M. Koffi Kadjehoun, à qui nous avons déjà emprunté plusieurs de ses papiers. Il souffrira certainement que nous lui empruntions encore celui-ci :


Au cours du réel
samedi 22 janvier 2011

 

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La jasmain

J'entends à la radio que l'on qualifie la révolte tunisienne de révolution de jasmin. Cette expression se révèle aussi creuse qu'inappropriée (le jasmin évoque la preuve d'amour). Si l'on veut en rester au stade du symbolisme, le jasmin, qui est l'emblème tunisien, désignerait aussi (surtout?) la tentation (féminine de surcroît). Je ne sais au juste si c'est cette signification qu'entendaient inspirer les concepteurs de cette révolution colorée, mais elle indique que non seulement le renversement politique tunisien n'est pas une révolution (il se trouve dénué de tout projet politique alternatif), mais qu'en plus cette révolution est manipulée par les mêmes concepteurs que ceux qui ont promulgué dans un passé récent les révolutions colorées.

Le financier Soros patronne des fondations caritatives (comme le Open Society Fund ou Human Rights Watch) qui militent pour le droit d'ingérence démocratique, soit le droit hypocrite d'apporter la démocratie à un régime considéré comme dictatorial. Au nom de cette stratégie qui remonte à l'avocat hollandais Grotius pour le compte de la Compagnie des Indes hollandaise (depuis lors associée étroitement à la Compagnie des Indes britannique ayant promu le libéralisme de Smith et consorts), les financiers opérant depuis la City de Londres (et son prolongement américain de Wall Street) financent des manoeuvres de déstabilisation politique au nom de fins vertueuses. Au risque de décevoir les enthousiastes qui pensent que le peuple tunisien a gagné en liberté depuis que le tyran Ben Ali a fui son pays, il suffit de considérer le parcours en exil dudit potentat pour comprendre que sa chute entre dans l'application de la stratégie du chaos de type mondial - avec pour particularité la subordination des intérêts néocoloniaux français sous la coupe (réglée) des intérêts britanniques.

Ben Ali a fui semble-t-il vers Chypre, puis a gagné sous protection saoudienne Dubaï avant de rejoindre le royaume saoudite. Autant dire qu'il se trouve sous la protection explicite de l'Empire britannique et que ceux qui réduisent l'Empire britannique aux Etats-Unis accomplissent une simplification abusive qui sera jugée sévèrement d'un point de vue historique. L'influence politique et diplomatique incontestable des Etats-Unis dans cette affaire ne peut être perçue adéquatement qu'à la lumière de la subordination du gouvernement américain aux intérêts financiers de Wall Street - et des intérêts financiers de Wall Street à ceux de la City de Londres.

Le fait que les propagandistes des médias occidentaux appellent cette révolution d'un nom évoquant la tentation se révèle d'un cynisme infâme : il est encore pire de créer des conflits et des divisions insolubles que de soutenir un pouvoir dictatorial. Pas question de soutenir un despote sanguinaire de la trempe de Ben Ali - ou l'impérialisme français contre l'impérialisme britannique; toute cette génération grotesque de tyrans arabes née de la décolonisation saute à chaque fois qu'elle s'oppose à la stratégie de l'Empire britannique : Hussein a été pendu après avoir servi les intérêts britanniques et américains dans la guerre contre l'Iran (déjà un cas patent de division sanglante sans fin).

Le fond de l'affaire réside dans la compréhension des mécanismes de la stratégie du chaos : on instaure le chaos en lieu et place de la continuité de la paix de Wetsphalie. La stratégie impérialiste française s'inscrivait dans cette ligne wetsphalienne, certes de manière hypocrite et oligarchique; alors que la stratégie de l'Empire britannique en plein effondrement consiste à instaurer le chaos partout hors de l'Occident (Etats-Unis et Union européenne). Cette stratégie fut consignée par le théoricien Cooper, actuellement proche de la baronne Ashton.

Cette conception stratégique estime qu'il existe des Etats-nations évolués qui ont le niveau d'intégrer l'ordre postwestphalien de fédérations impérialiste - et les Etats qui seront dominés et pour lesquels les règles de droit d'ordre démocratique et libéral ne s'appliquent pas. C'est cette conception qui se trouve appliquée à l'heure actuelle, en Tunisie comme ailleurs. Le plus pernicieux revient à penser la soi-disnat révolution de jasmin tunisienne de manière isolée, déconnectée de l'ensemble des soulèvements chaotiques qui se produisent un peu partout dans le monde.

On oublie que l'une des causes de la révolte tunisienne fut la hausse spectaculaire des produits alimentaires. Cette cause se ressent plus fortement sur les marchés des pays pauvres ou émergents, mais elle affecte l'ensemble du monde. Les multiples soulèvements troubles ou partitions de pays qui se manifestent actuellement dans différentes régions d'Afrique rejoignent le même processus que l'épisode tunisien. Dans tous les cas, le but visé consiste non à imposer un nouvel ordre en lieu et place de l'ancien ordre (que l'ordre nouveau soit supérieur ou inférieur), mais à semer le chaos et la zizanie.

C'est la politique stricte appliquée avec un cynisme et une perversité exemplaires en Afghanistan ou en Irak. C'est cette même politique qui fut appliquée au Congo-Kinshasa et dans tous les pays qui se trouvent sous administration britannique (quand on parle de l'impérialisme américain, on désigne de manière réductrice cet impérialisme britannique véritable et vérifiable). La politique du chaos profite aux factions impérialistes qui ont les mains libres pour perpétrer leur appétit de prédation. Détruire les institutions et les Etats au nom du changement et les remplacer par des conflits sans fin, sur le modèle du conflit israélo-palestinien (initié par les désaccords de Sykes-Picot).

Si l'on peut souhaiter que la Tunisie (et son peuple) connaisse un progrès politique marqué par la démocratie et surtout la république, il est fort à craindre que le départ du tyran Ben Ali signifie moins la fin de la dictature que le début de la politique du chaos. On jouerait sur l'enthousiasme populaire galvanisé d'avoir enfin renversé le régime dictatorial et corrompu de Ben Ali pour imposer un nouveau régime, peut-être moins dictatorial en apparence, mais tout aussi corrompu dans le fond. Le régime Ben Ali laisse entendre que c'est l'impérialisme qui s'effondre, dans cette région du Maghreb comme partout en Afrique, alors que c'est seulement la passation de pouvoir entre les intérêts francophones et les intérêts britanniques.

Las! La vérité se révèle plus sinistre : les intérêts françafricains sont engloutis sous la coupe encore plus impérialiste de l'impérialisme britannique en pleine déconfiture. D'où les heurts et les massacres qui expriment l'ajustement de l'impérialisme à sa situation désespérée. Diviser pour régner est le slogan de l'impérialisme (on mesure l'application littéraliste avec le programme de démembrement géographique et et ethnique des pays). Plus l'impérialisme s'effondre, plus il accroît cette tendance. Un article récent du journaliste français Quatremer - http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2011/01/the-european-foreign-office.html - dénonce (avec raison) la mainmise du Foreign Office britannique sur la diplomatie européenne. Quatremer omet juste de poser la question fondamentale qu'induit l'ensemble de son raisonnement : comment expliquer que cette hégémonie fonctionne?

Le masochisme français (ou allemand) n'explique pas tout. L'explication psychologique par la fascination est insuffisante. Les autres diplomaties européennes ne se soumettent que parce que la diplomatie britannique se trouve investie d'un pouvoir supérieur. Dans le monde actuel, le pouvoir supérieur est détenu par les financiers, dont le centre se situe à la City de Londres.

Quatremer nous apprend que dans l'organigramme de la diplomatie européenne, la région du Maghreb échappe désormais à la diplomatie française et passe sous le giron hégémonique de la diplomatie britannique. Quel meilleur symbole pour expliquer ce qui se produit à l'heure actuelle dans certaines régions francophones : passage de l'impérialisme français soumis à l'impérialisme britannique aussi dominateur que moribond; application des théories de Cooper à propos du postimpéralisme piloté depuis la fédération européenne (via son relais américain et non l'inverse) et soumettant à sa loi implacable les Etats tenus pour coloniaux et arriérés - cas de la Tunisie entre autres?

Publié par Koffi Cadjehoun à l'adresse 22:15
http://aucoursdureel.blogspot.com/




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LIVRES


Maximilien ROBESPIERRE

Oeuvres complètes  -  11 vols. – 495 €
Édition du Centenaire de la Société des études robespierristes
Renseignements : publications@etudes-revolutionnaires.org


Le jour où ces oeuvres seront mises à la portée de ceux qu’elles concernent au premier chef sera un grand jour. Ne soyons pas pressés.


Philippe BUONARROTI

Histoire de la conspiration pour l’Égalité dite de Babeuf, 2 vols., Les classiques du peuple, Éditions sociales, 1957
      Reprint (en français) par Kessinger Publishing LLC, 2010.

Ernest HAMEL

Histoire de Robespierre: d'après des papiers de famille, les sources originales et des documents entièrement inédits, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1865-1867, 3 vol. (rééd. Paris, Cinqualbre puis librairie de L'écho de la Sorbonne, 1878, 3 vol., et Paris, Ledrappier, 1987, 3 tomes en 2 vol.), tomes 1, 2 et 3, disponible sur Google Books .

Albert MATHIEZ

Robespierre terroriste, La Renaissance du livre,1921.
        Reprint (en français) par Kessinger Publishing, LLC, 2009.
Études sur Robespierre, Éditions sociales, 1958, 1973, Messidor 1988.


Gérard WALTER

Robespierre, (2 vols. : « La vie », L’Oeuvre »), Gallimard, 1963 – Plusieurs rééditions.

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On admirera la vilenie, sinon la subtilité, des éditions Gallimard, qui ont choisi, pour illustrer la couverturev de leur plus récente édition, une caricatures contre-révolutionnaire, et ajouté au titre original un "Maximilien de" fort à la mode chez les ignorantins.

 

 

William BLUM

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L’État voyou,  384 p., Lyon, Parangon, 2002.





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Les guerres scélérates, 456 p., Lyon, Parangon, 2004.




 

Philip AGEE

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Journal d'un agent secret - Dix ans dans la CIA, Paris, Seuil, 1976

 

 

 

 

Ludo DE WITTE

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L’assassinat de Patrice Lumumba, Paris, Karthala, 2000.

 


Autres ouvrages de Ludo De Witte (en néerlandais)
    * Crisis in Kongo (1996)
    * Wie is bang voor moslims? Aantekeningen over Abou Jahjah, etnocentrisme en islamofobie. (Van Halewyck, 2004).

 

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Catherine L.

 

 

 

 

 

 

 

 

13:10 Écrit par Theroigne dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |